Covid-19 ou non, les violences se poursuivent au Sahel
Alors que l’évolution de la pandémie de Covid-19 concentre toutes les attentions, les violences se poursuivent et s’aggravent dans l’espace sahélien, comme l’a cruellement rappelé l’horreur des massacres de Tchombougou et de Zaroumdareye dans lesquels ont péri plus de cent civils nigériens le 2 janvier 2021.
Les premiers acteurs qui sévissent au Sahel sont les insurrections djihadistes. Il convient cependant de ne pas considérer ces mouvements comme homogènes car ils se distinguent aussi bien par leurs idéologies et leurs affiliations que par leurs modes d’action: on assiste ainsi depuis plus d’un an dans la zone des trois frontières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, à l’affrontement de la coalition de mouvements réunis au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) affiliée à la mouvance islamiste Al-Qaïda et de la branche sahélienne de la province ouest-africaine de l’Etat islamique (dite «État islamique au Grand Sahara», EIGS). Ces groupes djihadistes disposent de ramifications locales extrêmement profondes et sont pour certains très bien implantés au sein des communautés locales.
On assiste ainsi depuis plus d’un an dans la zone des trois frontières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, à l’affrontement de la coalition de mouvements réunis au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) affiliée à la mouvance islamiste Al-Qaïda et de la branche sahélienne de la province ouest-africaine de l’Etat islamique.
Par ailleurs, des violences mettent également aux prises des communautés qui s’affrontent pour accéder, gérer ou exploiter différents types de ressources, en premier lieu les ressources agro-pastorales et foncières. Les plus répandues opposent différentes catégories socio-professionnelles dans le cadre d’affrontements tantôt intercommunautaires, tantôt intracommunautaires, notamment entre agriculteurs sédentaires, ou entre agriculteurs et éleveurs transhumants. Le développement de l’orpaillage peut aussi générer des conflits autour de l’accès réduit à l’eau, des tensions entre communautés voisines en compétition pour son exploitation ou encore entre communautés autochtones et allochtones.
Les groupes d’auto-défense, le vigilantisme, les milices recrutées sur des bases communautaires ont en outre proliféré dans la zone sahélienne au cours de la décennie écoulée. C’est le cas au Mali où des milices dogons et bambaras souvent composées de chasseurs dozos s’opposent très violemment dans le centre du Mali (région de Mopti et de Ségou notamment) aux groupes d’auto-défense peuls. Le démantèlement de ces milices, en particulier de la milice dogon Dan Amassagou, est un enjeu de taille pour l’État malien. Au Burkina, ce sont les groupes d’auto-défense qui ont proliféré, avec deux grands types d’acteurs: les keogl-weogos d’une part, mis en place au niveau local (villages; communes) par les communautés majoritairement mossies, et les dozos, chasseurs traditionnels d’autre part.
Au Burkina, ce sont les groupes d’auto-défense qui ont proliféré, avec deux grands types d’acteurs: les keogl-weogos d’une part, mis en place au niveau local par les communautés majoritairement mossies, et les dozos, chasseurs traditionnels d’autre part.
Les individus ou groupes criminels non identifiés s’en prennent par ailleurs aux personnes et à leurs biens, notamment au bétail ou récoltes.
Ces différentes logiques s’entremêlent parfois de manière inextricable, comme en témoigne la situation du village de Farabougou dans la région de Ségou au Mali, assiégé depuis des mois par des groupes djihadistes sur fond de conflit intercommunautaire dans lequel l’armée malienne peine à intervenir.
Des mouvements de protestation populaire doublés de prétorianisme sont venus s’ajouter aux dynamiques sécuritaires à l’œuvre, ainsi qu’en a témoigné le coup de force ayant abouti le 18 août 2020 au renversement du Président Ibrahim Boubacar Keïta.
En réalité, l’environnement sahélien actuel apparaît plus généralement comme un contexte insurrectionnel, se déclinant à travers différents modes (rebelle, djihadiste, populaire) par lequel divers groupes d’acteurs remettent en cause, selon différentes modalités, tout ou partie du modèle de l’État post-indépendance, perçu particulièrement par les populations des zones rurales et périphériques comme ayant failli en matière de démocratisation, de décentralisation, d’éducation, d’urbanisation, de sécurisation, de développement….
Les appareils de sécurité du Mali, du Burkina Faso et du Niger éprouvent de grandes difficultés à faire face à cette situation d’insécurité multidimensionnelle. La Force-conjointe du G5-Sahel n’a pas encore réussi à démontrer son opérationnalité sur le terrain. Cependant, les différents acteurs de la communauté internationale apparaissent eux aussi démunis face à ces dynamiques. La MINUSMA peine à assurer sa mission principale d’accompagnement de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali et de protection des civils, notamment dans le Centre. Les interventions de la Force française Barkhane, qui se concentre sur la lutte contre les Groupes armés terroristes (GAT), n’ont pas non plus permis d’avancées décisives tandis que coût financier et humain de l’Opération suscite chaque jour davantage de critiques.
Les attaques contre les soldats français, revendiquées par le GSIM, pourraient décourager les partenaires européens d’appuyer la force Takuba, composée de forces spéciales chargées de former et d’accompagner au combat les armées sahéliennes. Le bilan des missions de formation et de conseil de l’Union européenne (EUTM et EUCAP Sahel) se révèle pour sa part très mitigé. La mission de coordination et de mise en cohérence de l’ensemble du dispositif (qui inclut également l’Alliance pour le Sahel, axée sur le développement), dont est désormais chargée la nouvelle Coalition internationale pour le Sahel mise en place à l’issue du Sommet de Nouakchott en juin 2020, s’annonce particulièrement ardue. Les acteurs africains, au premier rang desquels l’Union africaine et la CEDEAO, ne sont pas non plus parvenus à peser sur l’évolution de la situation.
La mission de coordination et de mise en cohérence de l’ensemble du dispositif (qui inclut également l’Alliance pour le Sahel, axée sur le développement), dont est désormais chargée la nouvelle Coalition internationale pour le Sahel mise en place à l’issue du Sommet de Nouakchott en juin 2020, s’annonce particulièrement ardue.
Désormais, c’est avant tout aux acteurs nationaux – gouvernements, mais aussi autorités décentralisées, religieuses, coutumières, société civile – qu’il appartient de relever l’immense défi de penser la sécurité sahélienne en mobilisant des moyens qui permettront de placer au cœur des solutions promues la protection des populations civiles, aujourd’hui dramatiquement affectées par cette crise qui se prolonge et s’étend.