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Les forces africaines de défense et de sécurité face à la pandémie

GB Geo-Blog

Les forces africaines de défense et de sécurité face à la pandémie

Pour faire face à la progression du Covid-19, de nombreux Etats africains ont adopté des mesures de restriction à la circulation des personnes, limité la liberté de mouvement et le droit de réunion et interdit les rassemblements de grande ampleur. Comme dans les autres pays du monde dans lesquels des mesures similaires ont été adoptées, les forces de défense et de sécurité jouent un rôle de premier plan dans la mise en application de ces dispositions.

C’est ainsi par exemple que le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont déclaré l’état d’urgence, qui permet de gouverner par décrets ou simples mesures administratives tandis que l’«état d’urgence sanitaire» a été déclaré au Togo, en conformité avec les dispositions constitutionnelles: les autorités togolaises ont en outre concurremment décidé la création d’une unité spéciale anti-pandémie, composée de 5000 agents des forces de défense et de sécurité, appelés à se déployer sur l’ensemble du territoire pour faire respecter les mesures adoptées. Des couvre-feux ont également été décrétés dans de nombreuses capitales, telles Ouagadougou, Nouakchott et Dakar, où les forces de l’ordre sont chargées de faire respecter l’interdiction de circuler à la nuit tombée. 

Des couvre-feux ont également été décrétés dans de nombreuses capitales, telles Ouagadougou, Nouakchott et Dakar, où les forces de l’ordre sont chargées de faire respecter l’interdiction de circuler à la nuit tombée.

Désormais, faire appliquer les différentes mesures coercitives et les dispositifs d’exception dans le respect des droits de l’Homme et de l’Etat de droit, mais aussi du principe de proportionnalité dans l’usage de la force, constitue un défi majeur pour les appareils de défense et de sécurité africains. Dès l’entrée en vigueur des diverses dispositions, les accusations contre les forces de l’ordre se sont en effet multipliées, relayées par la presse et amplifiées par les réseaux sociaux, vidéos à l’appui, par exemple à Ouagadougou, Abidjan ou Dakar. Au Tchad, en RDC et au Kenya, des journalistes ont en outre été pris à partie par les forces de sécurité en raison de leur couverture des mesures de restriction – comme le rapporte le projet ACLED, tandis qu’Amnesty International a dénoncé au Niger l’arrestation ou la convocation par la police de journalistes en raison de leur traitement de l’épidémie. Certaines images – notamment des scènes d’humiliation, de traitements dégradants ou de violences physiques – démontrent une fois encore, s’il en était besoin, l’impérieuse nécessité de considérer le respect des droits de l’Homme et de la dignité humaine comme faisant partie intégrante des compétences professionnelles des forces de défense et de sécurité. Les nombreux articles de presse consacrés, aussi bien par les médias internationaux que par les médias nationaux, au rôle des forces de défense et de sécurité dans la mise en œuvre des mesures liées à la lutte contre le virus, mais aussi les interventions des organisations de la société civile, notamment dans certains espaces civiques qui tendent à se restreindre, démontrent que ces différents acteurs entendent bien jouer le rôle qui leur revient en matière de contrôle public des systèmes de sécurité dans le contexte de crise inédit. Les mécanismes d’inspection internes aux forces de défense et de sécurité elles-mêmes sont aussi à cet égard appelés à jouer un rôle essentiel. Ainsi, en Afrique du Sud, l’Independent Police Investigative Directorate (IPID) mène-t-elle d’ores et déjà plusieurs enquêtes pour déterminer les conditions exactes de décès suspectés être liés au recours excessif à la force par les unités de police chargées de faire appliquer le «lock down» décrété par les autorités. 

En outre, dans de nombreux pays en situations de conflit ouvert, de crise ou de sortie de crises, les forces de défense et de sécurité ont été l’objet, au cours des dernières années, d’allégations, souvent avérées, d’abus ou exactions vis-à-vis des populations ou de certaines communautés, notamment au Mali, au Burkina Faso, en République démocratique du Congo ou en République centrafricaine. En Guinée-Conakry, les forces de défense et de sécurité, déployées au cours des derniers mois pour réprimer les manifestations s’opposant à la réforme constitutionnelle susceptible de permettre au Président Alpha Condé de briguer un troisième mandat, sont désormais chargées de faire appliquer l’état d’urgence déclaré pour faire face au Covid-19. Les graves violences dont ont pu se rendre coupables certaines unités des forces armées des pays susmentionnés doivent inciter à considérer avec la plus grande vigilance les prérogatives désormais reconnues aux militaires, aux gendarmes, aux policiers ou aux services déployés aux frontières dans le contexte de la crise sanitaire actuelle. 

En Guinée-Conakry, les forces de défense et de sécurité, déployées au cours des derniers mois pour réprimer les manifestations s’opposant à la réforme constitutionnelle susceptible de permettre au Président Alpha Condé de briguer un troisième mandat, sont désormais chargées de faire appliquer l’état d’urgence déclaré pour faire face au Covid-19.

Il est enfin essentiel de délimiter de manière aussi claire que stricte les responsabilités respectives des différentes catégories de forces déployées, la mobilisation des militaires comme force de troisième catégorie dans le cadre de réquisitions explicitement formulées devant prémunir toute implication indue et abusive de ces forces de défense dans les missions de maintien de l’ordre public. Le recours éventuel aux services de renseignement pour recueillir un certain nombre d’informations liées à la maladie au sein des communautés devra également être étroitement encadré. 

Cependant, il convient également d’envisager selon une perspective constructive la contribution des forces de défense et de sécurité africaines à la lutte collective contre la pandémie actuelle. De ce point de vue, il est tout d’abord important de se pencher sur les expériences antérieures qu’ont pu accumuler les forces armées du continent dans leur implication dans la lutte contre le VIH/SIDA (notamment en Afrique australe) et contre le virus Ebola (particulièrement en Afrique de l’Ouest et dans la région du Fleuve Mano ainsi qu’en RDC, souvent avec l’assistance des partenaires bilatéraux et multilatéraux), à la fois pour contenir la diffusion de ces maladies dans leurs rangs et pour contribuer à l’effort national visant à les endiguer. 

De même, les mesures prises aujourd’hui par certains appareils militaires pour limiter la propagation de la maladie parmi leurs propres effectifs méritent une attention particulière. A titre d’exemple, au Nigéria, l’armée a activé un processus interne pour prévenir l’épidémie au sein des casernes, en lien avec les autres services de sécurité dont la Nigeria Police, le Nigeria Security and Civil Defence Corps et les Fire Services. La protection des personnels des forces de défense et de sécurité face à la propagation du virus, mais aussi à terme la prise en charge des personnels contaminés et de leurs familles par leurs institutions respectives, est en effet un enjeu crucial désormais, comme le démontrent les défaillances et difficultés rencontrées par les dispositifs mis en place au sein de certaines armées occidentales. 

Par ailleurs, la crise sanitaire liée à la propagation du Covid-19 invite aussi à repenser le rôle de certains services des forces de défense et de sécurité, notamment celui des services de santé des armées tout comme des services du génie. Au Maroc, a par exemple été décidée dès la mi-mars 2020 la mise à disposition par les Forces armées royales (FAR) de structures de santé équipées pour pallier au déficit du système sanitaire en cas de nécessité. Plus largement, les expériences de certaines armées africaines, telles celles du Ghana ou du Sénégal, dans la construction d’hôpitaux de campagne, acquises dans le cadre de programmes de coopération ou à la faveur de leur expérience de la gestion de crises dans le cadre onusien ou bilatéral, pourront s’avérer utiles à court terme, en cas de débordement des services sanitaires civils. A plus long terme, les services de santé des armées pourront jouer un rôle important dans les soins dispensés tout comme dans les campagnes à venir de vaccination, si un vaccin était mis au point. Certains centres d’instruction, à l’instar de l’Ecole du Service de Santé des Armées de Lomé (ESSAL), pourraient aussi à plus long terme travailler sur les leçons apprises de la gestion par les armées africaines de la crise sanitaire liée au Covid-19. 

Il est en outre intéressant de constater que les systèmes pénitentiaires, souvent négligés par les politiques publiques en matière de sécurité, ont fait l’objet d’une attention immédiate dès le début de la crise. C’est ainsi qu’au Togo, la libération de 1048 personnes détenues dans plusieurs prisons du pays a été annoncée. Il en a été de même au Niger où la remise en liberté d’un certain nombre de prisonniers (dont l’ancien Président de l’Assemblée nationale Hama Amadou) a été actée ainsi qu’au Sénégal, où l’ex-Président tchadien Hissène Habré a pu bénéficier d’une remise en liberté provisoire pour le protéger des effets du virus sur sa santé. 

Plus largement, la façon dont les forces de défense et de sécurité africaines s’acquitteront des responsabilités qui leur ont été attribuées dans la gestion de cette crise sanitaire pourrait contribuer à développer des relations de confiance avec les populations et les communautés dont la coopération et la réceptivité seront indispensables pour garantir l’efficacité des mesures adoptées. 

C’est pourquoi, il apparaît particulièrement important que l’impératif d’œuvrer en faveur d’une gouvernance plus démocratique des systèmes de sécurité ne passe pas au second plan. Il est d’ores et déjà vraisemblable que de nombreux programmes de coopération seront redirigés vers le soutien aux systèmes de santé africains, réponse tardive et réactive à des appels en sens émis bien avant l’apparition du virus Covid-19. Pour autant, il sera important de ne pas perdre de vue que les efforts de longue haleine engagés pour œuvrer en faveur de la réforme des systèmes de sécurité (RSS) doivent être poursuivis. Trop souvent, les changements de priorité des bailleurs ont été l’un des facteurs explicatifs des faibles progrès accomplis en matière de RSS: au cours des dernières années, les processus engagés ont ainsi été fréquemment détournés de leurs objectifs initiaux – notamment en matière de gouvernance démocratique, de respect de l’état de droit et de promotion des droits de l’Homme – par des priorités nouvelles qui ont fini par accaparer l’agenda  des réformes (lutte anti-terroriste, prévention de l’extrémisme violent, lutte contre les migrations illégales notamment). Il sera bien sûr nécessaire de prendre en considération les conséquences et les leçons apprises de la gestion de la pandémie du coronavirus par les appareils de défense et de sécurité africains. Il conviendra néanmoins de ne pas abandonner ou délaisser l’effort structurel indispensable pour renforcer l’opérationnalité mais aussi la gouvernance démocratique des appareils de défense et de sécurité africains, dont cette pandémie démontre de nouveau le rôle crucial pour l’avenir du continent, au-delà de la seule réponse aux crises de nature sécuritaire. 

Enfin, la crise liée à la pandémie du Covid-19 invite plus que jamais à prendre en considération l’approche fondée sur «la sécurité humaine», conceptualisée par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) dès 1994 et qui appelle à considérer la sécurité, non pas uniquement sous un angle militaire mais aussi dans ses dimensions sociales, politiques, alimentaires, environnementales, communautaires et sanitaires, tout comme dans sa dimension globale et transnationale et non pas uniquement nationale et stato-centrée. 

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