Quel couple franco-allemand ?
La chancelière allemande Angela Merkel et le président de la République française François Hollande se rencontrent une nouvelle fois aujourd’hui. Et les médias reprennent la petite musique du “couple franco-allemand”. Quid ?
On s’interroge gravement. Après Adenauer-de Gaulle, Schmidt-Giscard d’Estaing, Kohl-Mitterrand, Schröder-Chirac, assistons-nous à la naissance d’un couple Merkel-Hollande ? Le concept de couple est-il opérationnel pour comprendre les relations franco-allemandes ou brouille-t-il la perception de ses ressorts ?
Un couple, c’est combien ?
Admettons d’abord que le concept de couple se trouve à la croisée de paramètres géographiques, culturels, temporels, sociaux et personnels. Il n’y a pas une mais des conceptions du couple, soit. Pour autant, sous les latitudes franco-allemandes, le couple est généralement constitué de deux personnes qui entretiennent des relations affectives privilégiées. Peut-on appliquer cette définition à des Etats ? Certes, Dominique Moïsi a écrit une Géopolitique de l’émotion. Cependant, les Etats n’ont pas véritablement d’affection mais des intérêts convergents ou divergents, selon les cas et les moments. Et ils font des calculs d’opportunité pour tirer les meilleurs profits des effets d’aubaine: une crise économique, une catastrophe naturelle, voire une guerre.
Quant à l’idée d’un couple à deux, voilà une bonne blague pour les Etats. Dans le cas franco-allemand, il s’agirait a minima d’un couple à trois, tant les Etats-Unis ont pesé lourd dans les choix stratégiques de la République fédérale d’Allemagne des dernières décennies. Sans parler de la Russie à qui Berlin et Paris font chacune à leur manière la “danse des sept voiles”.
Un certain cynisme
Et si les relations franco-allemandes – après les guerres de 1870, 1914-1918, 1939-1945 – sont riches de moments constructifs – la CECA, la CEE, le traité de l’Elysée, la création du Conseil européen, le discours de F. Mitterrand au Bundestag, la photo Kohl-Mitterrand à Verdun, le front commun Schröder-Chirac lors de la marche à la guerre de G.W. Bush contre S. Hussein, et les coordinations Merkel – Sarkozy – ces mêmes relations franco-allemandes sont riches de moments de tension, pour ne pas dire de “petites trahisons”. Et c’est bien “normal”. Qu’on pense à l’ajout le 25 avril 1963 par le Bundestag d’un préambule atlantiste au traité de l’Elysée, à la mésentente Brandt-Pompidou au sujet de l’Ostpolitik, aux hésitations de F. Mitterrand après l’ouverture du mur de Berlin quant à la nécessité d’une unification allemande; aux règlements de compte lors de la construction de l’euro; à la duplicité de G. Schröder dans ses relations avec les Etats-Unis de G.W. Bush (pour ne pas parler de ses “petits” arrangements avec V. Poutine autour de Gazprom); à la castration par A. Merkel de l’Union Méditerranéenne de N. Sarkozy; à la façon dont Berlin détermine le tempo et le périmètre des concessions depuis le début de la crise; et à la manière dont la promesse électorale de F. Hollande pour un “pacte de croissance” a été revue à la baisse en réutilisant pour partie des fonds inutilisés… Personne n’oserait imaginer de telles “trahisons” dans un couple, on nous pardonnera ce petit côté fleur bleue.
Laissons donc de côté l’usage du mot couple parce qu’il brouille la perception des ressorts qui animent les relations franco-allemandes. Celles-ci méritent mieux que la page courrier du coeur des gazettes. L’Allemagne est un sujet complexe qui nécessite qu’on dépasse les facilités de formules usées.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’Ecole des affaires publiques et internationales de Glendon.