De BRIC à BRICS
En avril dernier, la Chine accueillait les Etats membres du groupe BRIC à l’occasion d’un sommet dans la ville de Sanya. Ce sommet, la troisième du groupe, réunissait les grandes économies de marché émergentes (Brésil, Russie, Inde et Chine), ainsi que l’Afrique du Sud en tant que tout nouveau membre. Depuis 2009, le groupe BRIC sert de cadre informel pour instaurer un dialogue entre les pays membres. Cependant, d’importantes asymétries économiques et divergences d’intérêts entre les membres limitent l’influence du groupe et sa pertinence. Néanmoins, ces sommets sont devenus des leviers politiques utiles pour ces pays émergents qui cherchent à légitimer leurs statuts d’acteurs mondiaux puissants et à renforcer leurs positions dans leurs négociations avec les pays les plus développés.
L’acronyme BRIC fut inventé en 2001 par Jim O’Neill, chercheur à la banque d’affaires Goldman Sachs, dans le but d’attirer l’attention des clients de la banque sur les marchés émergents à croissance rapide. Le concept a rapidement commencé à vivre sa propre vie dans l’opinion publique et au sein des décideurs, en particulier dans les pays auxquels s’applique l’acronyme. Les dirigeants des quatre économies de marché émergentes ont organisé un sommet du BRIC en Russie en 2009 et au Brésil l’année suivante. Ces démarches furent perçues comme une tentative de faire contrepoids à la domination des pays développés dans l’économie mondiale, en particulier au soi-disant unilatéralisme des Etats-Unis. Elles étaient conçues aussi à l’origine comme un véhicule capable d’appuyer les économies de marché émergentes dans leur quête d’influence dans les processus de décision à l’échelle mondiale.
Les déclarations finales des sommets tenus en Russie et au Brésil ont porté sur un vaste éventail de questions, telles que la crise financière mondiale, la reprise économique, la réforme de l’ONU et du Fonds monétaire international (FMI), la coopération sur les questions liées à l’énergie, au changement climatique, au terrorisme et à la sécurité alimentaire. Le sommet d’avril 2011 en Chine a principalement été marqué par l’ajout de l’Afrique du Sud et le changement du nom BRIC pour celui de BRICS. Comme lors des sommets précédents, les questions abordées ont été à nouveau de nature générale.
Dans leur déclaration commune rendue publique le 14 avril, les participants ont mis en évidence la multipolarité du système international, la mondialisation et l’interdépendance des Etats dans les relations internationales. Ils ont souligné leur appui à l’ONU qu’ils considèrent comme une institution essentielle pour traiter des questions mondiales. Ils ont également plaidé, en termes généraux, pour une réforme de l’ONU (y compris le Conseil de sécurité) et pour davantage de pouvoir dévolu aux économies de marché émergentes suite à une réforme des institutions internationales.
Pour les dirigeants du BRICS, la crise économique actuelle est une preuve évidente de la vulnérabilité du système financier international. Ils font valoir qu’il faut remodeler la gouvernance mondiale dans le secteur économique en y intégrant davantage les économies de marché émergentes. Même s’il insiste sur une réforme du FMI, le groupe BRICS parle du G20 comme d’un forum indispensable qui doit renforcer la gouvernance économique mondiale. Les participants pensent que la volatilité accrue des prix des matières premières et le flux élevé de capitaux vers les pays émergents représentent un risque majeur pour la reprise économique mondiale. Parmi les autres sujets abordés dans la déclaration finale, soulignons que les BRICS soutiennent le développement de sources d’énergie renouvelable et de l’énergie nucléaire. Finalement, les participants ont appelé à une plus grande coopération dans la lutte contre le changement climatique et réitéré leur opposition unanime à l’utilisation de la force pour régler des conflits interétatiques ou autres.
Les pays du BRICS représentent 40% de la population mondiale et, selon les données de la Banque mondiale, ont généré en 2009 environ 16% du PIB mondial (25% en termes de parité de pouvoir d’achat (PPA)). Leur part dans les exportations mondiales s’élevait à 15,5% et ils importaient 13% des marchandises. La Chine, on s’en doute, occupe une position nettement dominante au sein du groupe. Elle pèse près de la moitié du PIB du groupe et pour environ les deux tiers des exportations et importations du BRICS. La Chine est le principal partenaire commercial des autres pays du BRICS : la part du commerce extérieur de l’Inde avec la Chine s’élevait à 9%, celle de la Russie avec la Chine également à 9%, le Brésil à 13%, l’Afrique du Sud à 14%. L’Inde, le Brésil et la Russie occupaient la 9ième, 10ième et 11ième place, respectivement, dans la liste des plus importants partenaires commerciaux de la Chine, alors que l’Afrique du Sud prenait la 23ième place. Le Brésil et la Russie sont devenus les principaux pourvoyeurs de matières primaires pour l’économie Chinoise, pendant que la Chine et l’Inde consolide leur fonction de fournisseurs de produits à forte valeur ajoutée et de services.
Les principales sources de désaccord au sein du groupe sont les déséquilibres commerciaux et l’ouverture des marchés des pays membres. Les principales plaintes concernent la Chine, qui importe des matières premières pour alimenter son industrie secondaire et tertiaire, mais de diverses manières bloque l’accès aux produits finis sur son marché. Les partenaires du BRICS recherchent un plus grand équilibre dans leurs échanges commerciaux avec la Chine. Entre autres choses, l’Inde et le Brésil demandent que la Chine ouvre davantage son marché à leurs produits manufacturés.
L’Inde souhaiterait vendre plus de produits liés aux technologies de l’information et des produits pharmaceutiques, tandis que le Brésil s’est trouvé confronté récemment à des problèmes inattendus pour la vente de ses avions Embraer. La sous-évaluation du yuan est la plus grande source de mésentente entre les pays du BRICS puisqu’elle diminue fortement la compétitivité de pays comme le Brésil et la Russie. Par exemple, l’appréciation du real, monnaie nationale du Brésil, et l’anxiété croissante de certains manufacturiers brésiliens ont convaincu le gouvernement brésilien d’instaurer plus de 30 mesures antidumping contre les produits chinois bon marché.
Bien que seulement un forum informel, le BRICS se transforme petit à petit en une plate-forme de discussion qui permet aux participants d’obtenir une certaine forme de reconnaissance de leur réputation et statut grandissants sur la scène internationale et de renforcer leur pouvoir de négociation avec les pays industrialisés. Pour la Chine, le groupe BRICS est un outil au service de sa croissance économique et de sa participation de plus en plus fréquente dans la résolution des questions internationales. La Russie y trouve également son compte puisque le groupe BRICS est vu comme un moyen permettant de retrouver son statut de grande puissance internationale. Le Brésil, de son côté, voit le groupe BRICS comme un moyen pour renforcer son leadership sur le plan régional.
Tout compte fait, il est peu probable, cependant, que le poids économique croissant des pays du BRICS se traduise à court terme en un plus grand poids politique dans la gouvernance mondiale. Sur presque tous les plans, la Chine est nettement beaucoup plus importante que d’autres membres du forum et, conséquemment, disproportionnée est sa capacité d’établir les objectifs du groupe. Divergences économiques, dissimilitude des systèmes politiques, intérêts différents, parfois même irréconciliables, tous ces facteurs conspirent contre l’ambition du BRICS de construire un bloc viable et unifié des économies de marché émergentes. Par exemple, il n’est pas sûr que la Chine, qui est un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, soutienne le Brésil et l’Inde dans leur désir d’obtenir aussi un siège au Conseil de sécurité. On peut également se demander si les partenaires du BRICS sont en mesure d’aider la Russie à adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Ces contraintes se sont exprimées dans les formules vagues et générales des déclarations communes adoptées lors des sommets. Les membres du BRICS pourraient en venir à la conclusion qu’il serait plus facile et efficace de procéder à des initiatives ad hoc visant à façonner des positions de force sur des problèmes mondiaux spécifiques. Le groupe BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine), formé à la conférence de Copenhague en 2009 pour négocier un projet d’accord élaboré par les pays industrialisés, est un exemple de regroupement de pays ayant joué un rôle de leader sur la question du changement climatique.
En outre, la création de regroupements d’Etats plus équilibrés pourrait être mutuellement plus avantageuse et opérationnelle. Le forum de l’IBSA, commencé en 2003 en vue d’établir une coopération entre l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, vient ici à l’esprit. Les économies de marché émergentes devraient diversifier les formes et structures de leurs engagements mutuels (forums, groupes informels, associations, etc.) et davantage les adapter à leurs intérêts nationaux et leurs besoins. Ces différents types de regroupement devraient être mis à profit en tant qu’instrument de communication, de dialogue et d’interaction entre les pays émergents. Le BRICS serait un de ces outils parmi d’autres, mais peut-être le plus puissant en raison de son énorme ascendant sur la scène internationale.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
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