La commission d’enquête
Un jour, il faudra m’expliquer à quoi sert une commission d’enquête. Il me semble que ça coûte des millions et que ça ne mène à rien. Le rapport de la commission Bastarache au Québec sur la nomination des juges a hier (mercredi) été rendu public. L’encre de ce dernier rapport était à peine sèche que déjà les média s’en sont pris au bon juge Bastarache. Josée Boileau du journal Le devoir sur les ondes de la SRC affirmait déjà en fin d’après-midi que le juge avait manqué le bateau. Madame Boileau semble convaincue qu’il y a trafic d’influence indue dans la nomination des juges au Québec et rien de ce qu’aurait pu écrire le juge n’aurait changé son opinion. Elle aurait dû écouter le juriste qui l’a précédée en ondes et qui a parlé d’un rapport nuancé, extrêmement bien écrit, avec des prescriptions réfléchies. Pauvre Madame Boileau, le rapport ne décrivait pas de situations scandaleuses ! De toute façon, l’opinion publique est souveraine et elle n’a jamais tort ; le Premier ministre Charest est coupable. Point, pas de débat nécessaire. Le juge blanchit le Premier ministre québécois, mais déjà les média ce matin (jeudi) affirmaient que M. Charest était, dans sa réponse au rapport, hargneux. Blanchi, mais quand même perdant, ça serait drôle si ce n’était pas si désolant. Le juge a écrit un texte intelligent, mais à quoi bon si personne ne le lit et si on ne tente pas de le comprendre ! La commission en ce sens n’aura pas servi à grand-chose. Il est vrai que le rapport fait des recommandations intéressantes pour la mise sur pied d’un nouveau processus de nomination. On a pas besoin d’une commission à coup de millions pour cela ; un comité de personnes capables, averties, auraient été en mesure de débattre de nouvelles procédures à bien moindre coût. On aurait évité le cirque médiatique. Ah, pardon, c’est le pourquoi d’une commission ! M. Charest a mis en place cette commission comme stratégie politique, pour se défendre d’accusations non-fondées de la part de son ancien ministre, Marc Bellemare. La leçon, la commission d’enquête n’est pas faite pour résoudre les problèmes politiques. Il reste à voir si les recommandations de celle-ci seront un jour mises en œuvre.
Revenons, donc, à notre sujet premier, c’est-à-dire le rôle de la commission d’enquête. Quoi ? La commission est nécessaire pour aller au fond des choses ? Voyons-donc ! En connaissez-vous vraiment plus sur les millions du contrat d’Airbus grâce à la commission Oliphant sur les transactions Mulroney-Schröder ? Soyez honnête avec votre réponse ! Rien de nouveau n’a émergé lors de cette commission.
Répétez ? Le rapport de la commission fait des recommandations pour améliorer nos politiques publiques, pour le bien public. Je vous l’accorde, mais en théorie seulement. Qui ne se souvient pas de la commission Gomery. Le juge Gomery était, sans doute, tout un personnage. Qui se souvient, maintenant, de son rapport et de ses recommandations ? Moi, non plus. Les Conservateurs les ont ignorés lorsqu’ils ont fait adopter la loi fédérale sur la responsabilité. Cette commission-là, au moins, c’était tout un show !
La commission sert à détourner l’attention de dossiers politiques chauds (ex. commission Bastarache). Cela a clairement fonctionné à merveille avec la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. Surtout que lorsqu’on lit le rapport de cette commission, les commissaires indiquent clairement que dans le fond, il n’y en avait pas de problème. Sauf que plusieurs années plus tard, on en parle encore des accommodements raisonnables et sur le plan politique, c’est encore une patate chaude ! Le Québec a eu l’air très moderne et tolérant lors des audiences de la commission. Si le but était de nuire à l’image du Québec, bravo, la commission fut un succès !
Quelle est la dernière commission au Canada qui a été d’une vraie utilité ? La commission Romanow sur les systèmes de soins de santé au pays ? Mauvaise réponse. La commission fit du bon travail, mais le rapport s’est vite retrouvé sur les tablettes. La commission Royale sur les peuples autochtones ? Mauvaise réponse. Le rapport final est excessivement long, ce qui explique probablement pourquoi ce rapport est aujourd’hui enseveli de poussière.
Il faut remonter encore plus loin pour trouver quelque chose d’intéressant. La commission Krever sur le sang contaminé traitait d’un sujet important, tentait de faire la lumière sur une réelle injustice, et mena à des changements importants par rapport à la collecte du sang au pays. Cette commission a eu lieu il y a plus de quinze ans maintenant. La commission Macdonald, constituée en 1982, est un autre exemple intéressant. Cette commission fit le point sur le Canada de cette époque et réorienta les politiques publiques dans de nombreux domaines. La commission est souvent citée comme ayant été la source d’inspiration du projet de libre-échange entre le Canada et les USA. Les rapports de recherche de la commission sont encore pertinents après plus de vingt ans.
Une commission d’enquête, je suppose, peut avoir sa place, surtout si les objectifs et le mandat sont clairs et bien définis. L’outil peut être utile si on veut porter une réflexion approfondie par rapport à un/des sujet(s) important(s). En théorie, c’est intéressant, mais en pratique c’est de moins en moins probable. Il n’y aura plus jamais de commission Macdonald. La commission peut aussi servir à comprendre une injustice grave, quoi que les rôles de la commission et de la police faisant enquête doivent être, ici, bien délimités. De façon générale, la commission c’est un gaspillage complet de fonds publics – de la politique spectacle, rien de plus !
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.