2011-2014
Le Canada restera, donc, en Afghanistan jusqu’en 2014. Malgré le départ annoncé des troupes en 2011, l’armée canadienne demeurera sur place pour entrainer l’armée et la police locale. Les troupes ne seront pas en mission de combat, mais elles ne seront pas, non plus, à la maison. Par l’entremise de Wikileaks, nous apprenions la semaine dernière que l’ambassadeur canadien en Afghanistan, William Crosbie, était fort critique du Président Karzai, de sa famille, et du système de patronage maintenant en place à Kaboul. L’ambassadeur a aussi exprimé de sérieux doutes par rapport au processus électoral en Afghanistan. Le Premier ministre Harper a soutenu son ambassadeur lors de cette controverse. Les propos de M. Crosbie, lors d’une discussion privée avec l’ambassadeur américain en Afghanistan, n’ont pas été nuancés. M. Crosbie ne s’est pas rétracté et il ne s’est pas excusé. L’ambassadeur a offert sa démission, non pas parce que ces paroles étaient allées plus loin que sa pensée, mais pour ne pas trop nuire aux relations entre le Canada et l’Afghanistan. Le Premier ministre Harper l’a refusée. Il m’est clair que le gouvernement canadien n’a plus confiance en la gouvernance afghane. Alors, pourquoi rester jusqu’en 2014 ?
Je suis de ceux qui croient qu’il est bon pour l’OTAN et le Canada d’être présents en Afghanistan. En ne se concentrant que sur la guerre actuelle, il est trop facile d’oublier l’obscurantisme des Talibans qui ont été au pouvoir en Afghanistan à la fin des années 1990. Ce gouvernement était cruel et inhumain. Le gouvernement Taliban a permis à une force terroriste de s’établir sur son territoire, à partir duquel cette force a lancé des attaques contre l’Occident. Reculer, quitter l’Afghanistan maintenant, admettre la défaite, laisser l’Afghanistan, abandonner ses peuples, ne représentent pas de vraies options. Il n’est pas possible de mener toute les guerres partout, pour sauver l’humanité, mais nous sommes engagés dans ce conflit en particulier et nous avons la responsabilité d’aider l’Afghanistan à progresser, à se moderniser.
Si ce constat demeure, que faire maintenant pour ne pas s’embourber éternellement en Afghanistan ? Je me permets de proposer quelques idées éparpillées.
Les Américains ont mis le Président Hamid Karzai en place à la fin de 2001. L’homme pendant quelques temps pouvait être considéré comme un sauveur. Il a, cependant, perdu beaucoup de crédibilité au fil des ans. L’élection présidentielle biaisée de 2009 a considérablement nui à son image. Le Président Karzai a aussi commencé des négociations de paix avec les Talibans. Qu’il y ait négociation de paix n’est pas un problème, qu’elle soit menée par un homme qui n’est plus digne de confiance est, cependant, très difficile à accepter. La conclusion à tirer, selon moi, est simple. Il faut convaincre le Président Karzai de se retirer, de prendre une retraite bien méritée. Il faut lui faire comprendre qu’il n’est plus l’homme de la situation, que sa présence compromet maintenant la construction d’un Afghanistan nouveau. J’en suis conscient, c’est plus facile à écrire qu’à faire. Pourtant, l’Afghanistan ne pourra réellement regarder de l’avant qu’une fois le Président Karzai parti. Il a été le Président de la transition; il est maintenant temps de passer au Président du renouveau, pour un l’Afghanistan moderne. Près de dix ans au pouvoir, c’est bien suffisant.
Le départ du Président Karzai ne servira à rien, si le système politique demeure corrompu. C’est tout le système de gouvernance, les institutions et les pratiques, qui doivent évoluer en Afghanistan. Entraîner une armée pour combattre les Talibans et former des policiers, c’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Les ONGs mettent l’accent sur les services essentiels, la santé et l’éducation. Qui s’occupe, donc, vraiment de la gouvernance dans ce pays ? La démocratie et la bonne gouvernance, nous le savons, ne s’imposent pas. Ceci étant dit, comment est-il possible pour l’Occident de collaborer, coordonner, aider, supporter une réforme de la gouvernance en Afghanistan ? Lisons entre les lignes : lorsque William Crosbie s’en prend au Président Karzai, il s’en prend à la corruption endémique en Afghanistan. Malgré tous les beaux discours, toutes les belles paroles, la corruption demeure l’un des obstacle fondamentaux pour refaire l’Afghanistan. Elle coûte extrêmement cher et bloque toute vraie chance de progrès.
Hamid Karzai est né en 1957. Il n’est pas si vieux que cela, mais il demeure un vieux de la vieille en politique afghane. N’y a-t-il pas dans ce pays une nouvelle génération de jeunes, de politiciens et d’hommes d’affaires, prête à assumer la relève ? Comment les pays donateurs en Afghanistan peuvent-ils mieux travailler avec les nouvelles forces de la société, celles libérées par l’ouverture sur le monde de l’Afghanistan depuis 2001 ? Comment générer, gérer et orienter ces forces ?
Les gouvernements occidentaux n’ont pas été particulièrement habiles au cours de la dernière décennie dans le domaine de la diplomatie publique. Durant la Guerre froide, par exemple, nous excellions dans ce domaine des relations internationales. Cet effort semble avoir complètement disparu. Les gouvernements occidentaux présents en Afghanistan ont besoin de se trouver une voix, un message, qu’ils peuvent vendre aux peuples Afghans. Bien des gouvernements occidentaux, dont celui du Canada, ont mal vendu cette guerre à leur citoyen. L’ont-ils vendu avec ardeur aux Afghans eux-mêmes ? Un vrai programme de diplomatie publique, qui mettrait l’accent sur quelques valeurs vitales comme la tolérance et la modération, contrecarrerait le discours taliban, et fournirait de l’espoir aux Afghans.
Ce que je présente ici n’est pas un plan complet, seulement quelques observations dispersées. Le départ du Président Karzai pourrait potentiellement se faire rapidement. Travailler à améliorer la gouvernance, au renouvellement de la société afghane, et à l’élaboration d’un message convaincant, représente des projets à moyen et long terme. Je ne prétends pas offrir la réponse à la question afghane, seulement quelques pistes de réflexion pour un avenir meilleur.
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.