L’Europe en crise
J’ai participé cette semaine à une réunion avec des spécialistes de l’Europe. Il est fascinant parfois de comparer les différents points de vue sur un même phénomène. Je le mentionne puisqu’un collègue présenta l’idée selon laquelle l’Europe s’était assez bien tirée de la crise, quoi que l’avenir demeure incertain. Je suis resté un peu surpris, puisque je croyais qu’il y avait consensus comme quoi l’Europe était dans un marasme profond. J’aurais dû m’en douter, il ne faut jamais prendre pour acquis qu’il y a accord dans le monde universitaire !
L’Europe irait-elle mieux qu’on ne le pense ? Le continent aurait-il su tirer les marrons du feu ? L’Europe est-elle prête pour une relance ? J’admets, il est un peu bizarre de poser ses questions alors que le gouvernement britannique vient d’annoncer des mesures d’austérités financières draconiennes, et que la France est paralysée. N’empêche, que suggère une analyse d’ensemble ? Je reprends ici à mon compte certaines des grandes idées énoncées lors de cette réunion mentionnée ci-haut.
La crise financière et économique se divise en trois périodes. La première période se déroula de 2007-2009. C’est le gros de la crise financière, avec en septembre et octobre 2008 la chute notable des indices boursiers. Les pays de l’Europe répondent alors avec vigueur. L’Angleterre, l’Allemagne et la France font tout en leur pouvoir pour aider leurs firmes financières, et stimuler l’économie nationale. L’Irlande s’approche dangereusement du précipice, mais n’y tombe pas. Le cas de l’Islande est plus problématique, avec des répercussions jusqu’à Londres. Sauf qu’en réagissant aussi fortement, les dirigeants européens ont évité le pire. Nicolas Sarkozy est alors très actif sur la scène internationale, là où il excelle, donnant l’image d’un chef en contrôle. Les institutions de l’Union européenne n’ont peut-être pas bien performées, mais les États européens, eux, ont été alertes.
La deuxième phase, c’est la crise grecque et des autres pays du Sud de l’Europe. L’Europe, ici, a moins bien géré la crise. Les institutions européennes n’ont pas su exercer le leadership requis, et les États membres se sont entredéchirés. La crise a montré les limites de l’intégration économique européenne actuelle. Le résultat, cependant, malgré tous les balbutiements et les tergiversations, c’est que les pays membres sont venus en aide à la Grèce. L’Allemagne s’est fait tordre le bras, mais on en est tout de même arrivé à un accord.
La troisième période, c’est l’après-crise. Les défis demeurent nombreux, mais le gros de la crise est passé. L’Angleterre, l’Allemagne, et même la France mènent la danse de la rigueur. L’Irlande se replace de façon spectaculaire. Les autres pays de l’Europe suivent le pas. Il y a aussi réforme des institutions européennes, surtout dans le domaine de la supervision et de la réglementation des marchés financiers. Les conditions économiques varient grandement de régions en régions, et de pays en pays. Les opportunités, toutefois, existent bel et bien. La croissance reviendra.
Je me permets trois observations rapides. Premièrement, il est encore trop tôt pour faire une évaluation complète et juste de la crise. Il est, cependant, intéressant de penser qu’au-delà des perceptions, l’Europe s’en est peut-être assez bien sortie, mieux que ce qu’on aurait eu tendance à croire. Deuxièmement, la distinction entre Europe et Union européenne (UE) est importante. L’Europe, c’est l’espace géographique, des pays et divers nations et gens. L’Europe demeure forte. L’UE c’est un projet, des institutions, et de nombreuses directives. L’UE a eu des problèmes dans cette crise. L’Europe travaille à solidifier l’UE pour assurer à l’avenir une meilleure résistance, ainsi qu’une meilleure coordination et collaboration entre États membres. Troisièmement, les perceptions de l’Europe que l’on soit européen ou d’ailleurs varient. Les européens sont de ces temps-ci bien pessimistes. Les observateurs externes le sont moins. On croit encore, et on veut croire, à l’Europe et à ses projets. L’Europe change, mais l’analyse de ces transformations se doit d’être nuancée.
Je suppose que tout est histoire de perspective. N’empêche, n’enterrons pas le vieux continent, pas tout de suite !
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
Tres bon texte. J’ajouterais simplement, a la distinction entre Europe et UE, une troisieme categorie, importante ici, qui est la zone Euro. On a tant ecrit, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni surtout, sur la debacle de l’Euro, notamment a l’occasion de la crise grecque… Or cette devise reste solide, et continue d’attirer de nouveaux membres. La zone va donc s’aggrandir, et devenir de plus en plus incontournable en Europe.