Une mosquée bien particulière
Je viens de terminer la lecture de ce qui pourrait bien s’avérer être le livre de l’année. Ian Johnson, journaliste au Wall Street Journal et gagnant d’un Pulitzer, est l’auteur du bouquin, A Mosque In Munich: Nazis, the CIA, and the Rise of the Muslim Brotherhood in the West. C’est l’histoire remarquable de la construction de la mosquée de Munich dans les décennies qui ont suivi la Deuxième guerre mondiale. Cette mosquée est devenue au fil des ans une plaque tournante pour la montée de l’extrémisme musulman en Europe. Ce qui est fascinant, c’est le rôle des services secrets américains et allemands dans la construction de la mosquée, et le support qu’ils ont apporté aux groupes religieux sur le terrain.
Comme il est écrit sur la jaquette du livre, nous savons tous maintenant que les Américains ont supporté les moudjahidines en Afghanistan durant les années 1980 lorsque ces derniers combattaient les Soviets. Ce que nous ne savions pas, ou tout au moins ce qui était peu connu, c’est que la stratégie en Afghanistan n’était que le reflet de ce qui avait été fait en Europe suite à la Deuxième guerre mondiale. Les services secrets américains ont supporté, et supportent fort probablement encore, entre autre, plusieurs individus associés aux Frères musulmans. Le support, tel que noté dans le livre, est à la fois organisationnel pour différents projets, et financier. Les Américains, bien évidemment, n’ont pas créé l’extrémisme musulman en Europe. Quel rôle ont-ils joué, cependant, dans l’expansion de la mouvance au fil des ans?
Johnson débute son histoire durant la Deuxième guerre mondiale. Les nazis à l’époque utilisaient des régiments musulmans pour combattre l’Union soviétique. C’est-à-dire, ils utilisaient des ressortissants musulmans provenant de diverses régions de l’empire soviétique en leur promettant la libération de leurs terres natales. L’objectif était de fomenter la rébellion chez les populations locales pour affaiblir l’Union soviétique. Une fois la guerre terminée, l’Allemagne de l’Ouest se retrouva prise avec une population musulmane, fortement anti-communiste, qui n’avait pas nécessairement sa place dans cette nouvelle terre, mais qui cherchait, faute d’alternative, à s’y établir.
C’est à cette époque qu’embarquèrent les services secrets américains et allemands pour tenter de contrôler cette population. La CIA, par exemple, mit sur pied ‘Radio Liberty’. Ce poste de radio employait une forte proportion d’immigrants d’origine musulmanes et émetttait aux diverses populations ethniques de l’Union soviétique. L’objectif ressemblait à celui de ‘Radio Free Europe’, en visant une population autre.
Comment, toutefois, supporter ce groupe d’immigrants en Allemagne et en Europe qui a bien de la difficulté à s’intégrer? En construisant une mosquée, bien entendu… Les musulmans se comptaient par milliers à Munich, mais ils ne possédaient pas de lieu de culte. La construction d’une mosquée devint, donc, une priorité, à la fois pour la population locale, que pour les services secrets américains et allemands qui tentaient toujours de la contrôler. Le projet fut officiellement lancé en 1958. Le ‘hic’, la communauté musulmane était divisée. Des groupes musulmans du Moyen-Orient tentaient d’influencer la population locale et le projet. Les Américains et les Allemands aussi se chicanaient, choisissant d’aider différentes factions. Le financement et la construction prendront de nombreuses années, le résultat d’intrigues interminables. La mosquée ouvrira finalement ses portes en 1973.
Au fil du temps, les services secrets allemands se désintéresseront de l’option musulmane. Les Américains, par contre, continueront à garder contact avec différents leaders extrémistes. La stratégie est redevenue tout à fait pertinente suite au 11 septembre 2001. Les Américains ont leurs entrées, selon Johnson, surtout avec des individus ayant de proches liens avec les Frères musulmans. Les Américains, par exemple, financèrent une grande conférence à Bruxelles en 2005 pour discuter de l’intégration des immigrants musulmans dans les sociétés occidentales, par l’entremise d’individus habituellement reconnus comme étant associés aux Frères musulmans. Johnson note l’ironie de la situation. Les Américains font appel à des extrémistes pour parler d’intégration. La stratégie, notons-le, peut être vue comme faisant preuve d’une certaine subtilité, de finesse, puisqu’il s’agit d’une tentative pour réorienter le débat au sein même des populations musulmanes européennes.
C’est un livre fascinant, écrit de main de maître. Johnson a commencé la recherche de ce livre en 2003. Il maîtrise le sujet à fond. Dans cette histoire, il y a beaucoup de personnages et beaucoup d’intrigues. Il serait facile de s’y perdre. Pourtant, le bouquin se lit très bien, presque comme un roman. Le livre fait une contribution importante. En le lisant, nous comprenons beaucoup mieux comment nous en sommes rendus là où nous en sommes aujourd’hui. À lire, tant pour s’informer, que parce que l’histoire y est palpitante!
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
Prof Ian,i have this book on my reading list now but are you sure that you don’t have an under table deal with the Author of this book?
Il est intéressant de lire ce livre conjointement avec celui de John Loftus “America’s Nazi Secret ” qui vient de sortir.
Le nom de Frank Wisner (Senior) est régulièrement cité. Une recherche sur Wikipedia au sujet de Frank Wisner (Senior) et son fils (même prénom) est instructive.
http://www.scribd.com/doc/47870340/Frank-G-Wisner-Sr
http://www.scribd.com/doc/47963038/America-s-Nazi-Secret-Loftus-OPC-CIA
Ce deuxième extrait est la copie d’une lettre importante car elle décrit la création de l’OPC, les relations hostiles entre l’OPC et la CIA, la façon dont l’OPC a survécu au sein de la CIA et comment des dossiers ont été détruits afin de la CIA ne puisse retrouver les anciens nazis actifs en son sein.