V. Vike-Freiberga alerte
Quel parcours et quelle exigence ! Vaira Vike-Freiberga, élue par deux fois présidente de Lettonie, vient de passer à Paris pour présenter le document “Projet pour l’Europe à l’horizon 2030. Les défis à relever et les chances à saisir. Rapport du groupe de réflexion au Conseil européen sur l’avenir de l’UE à l’horizon 2030”. Rédigé par douze personnalités européennes, sous la présidence de Felipe Gonzalez Marquez, celui-ci tire la sonnette d’alarme. Si l’Union européenne ne veut pas aller droit dans le mur, il lui faut apprendre le courage et le long terme.
Quel parcours !
A la suite de la soviétisation de la Lettonie, Vaira Vike-Freiberga quitte son pays alors qu’elle est enfant. Ses parents vivent d’abord quelque temps en Allemagne puis s’installent au Maroc. C’est pourquoi V. Vike-Freiberga devient parfaitement francophone. Ses parents émigrent ensuite au Canada (Ontario, Québec), où elle est diplômée de l’Université de Toronto, puis elle obtient un doctorat en psychologie de l’Université McGill. Elle enseigne plusieurs années à l’Université de Montréal et en garde quelques anecdotes rafraichissantes sur le comportement étudiant.
Pendant ce temps, l’Union soviétique développe une crise systémique. A la fin des années 1980, les pays Baltes secouent la chape de leur soviétisation. Le début des années 1990 est marqué par l’indépendance de la Lettonie, de l’Estonie et de la Lituanie. A des rythmes variés, ces trois Etats développent alors des stratégies de double adhésion, à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et à l’Union européenne. V. Vike-Freiberga revient en Lettonie en 1998, alors que ces processus restent à finaliser. Elle est élue présidente de la République de Lettonie en 1999, puis réélue pour un deuxième mandat jusqu’en 2007. Autrement dit, elle a été aux responsabilités pendant les années les plus délicates de la pré-adhésion puis des débuts de l’adhésion à l’Otan comme à l’Union européenne (2004). V. Vike-Freiberga sait ce que signifie l’expression “relever un défi”.
Quelle exigence !
Lors de son passage en France, V. Vike-Freiberga a présenté avec franchise le rapport auquel elle a contribué, notamment à la Maison de l’Europe à Paris. “Projet pour l’Europe à l’horizon 2030” tire la sonnette d’alarme. “Nous formulons un avertissement aux gouvernements et aux citoyens. La complaisance n’est pas de mise n’est pas de mise, l’apathie pas davantage. La suffisance ne nous conduirait pas loin.”
Le groupe de réflexion auquel elle a participé invite l’Europe communautaire à se penser enfin comme étant en compétition avec le reste du monde. Les acquis dont les citoyens de l’Union européenne peuvent être fiers ne sont pas pour autant fixés dans le ciment pour l’éternité. Les performances économiques des pays membres de l’UE ne resteront pas indéfiniment hors d’atteinte des pays émergents, dont la Chine et l’Inde. L’UE élargie souffre d’un manque de compétitivité, en partie du fait des élargissements de 2004 et 2007, ce que le rapport n’écrit pas. En effet, la productivité de l’UE a baissé de 11% via l’intégration de 12 nouveaux Etats.
Quelle politique étrangère commune ?
Quoi qu’il en soit, la politique étrangère commune reste très en dessous de ce qu’elle devrait être. Si l’UE veut éviter que ne se répète l’humiliation du sommet de Copenhague – lorsque les Etats-Unis et la Chine se sont mis d’accord sans eux – il faut consolider les positions européennes. Tant quelles seront fragmentées, les positions européennes resteront inaudibles et seront balayées. Quand on observe avec quelle facilité déconcertante la Russie a fragilisé le projet du gazoduc Nabucco qui visait à réduire son emprise sur l’UE, chacun comprend pourquoi le Groupe de réflexion invite l’UE à se doter d’une véritable politique énergétique.
Le rapport attire également l’attention sur les faiblesses démographiques de l’Europe communautaire. Ce qui apporte une satisfaction à ceux qui avancent depuis une demi-douzaine d’années que l’élargissement de 2004 a aggravé le vieillissement et les tendances au dépeuplement de l’Union européenne. Ce que le rapport n’écrit pas. Evidemment, le rapport invite à repousser l’âge de la retraite et à augmenter la participation féminine aux activités professionnelles. Reste à savoir quelles seront les incidences de la crise économique sur les politiques familiales envisagées en 2008 par le Parlement européen dans son Rapport sur l’avenir démographique de l’Europe.
Avec un tel parcours et de telles exigences, on peut comprendre pourquoi les chefs d’Etats des pays membres de l’Union européenne ont préféré ne pas retenir la candidature de V. Vike-Freiberga à la présidence stable de l’UE…
Le rapport au format pdf http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload/Reflection_FR_web.pdf
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