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La stratégie de la Russie en Géorgie

Spring / Summer 2010 In Situ

La stratégie de la Russie en Géorgie

Un dégel calculé autour de Sotchi 2014?

Richard Rousseau depuis Tbilissi, Géorgie

Presque deux ans après la «guerre de Cinq Jours» entre la Russie et la Géorgie en Ossétie du Sud en août 2008, les tensions entre Moscou et Tbilissi restent encore vives, en partie parce que moins de deux semaines après la fin des hostilités, la Russie a reconnu l’indépendance des territoires séparatistes de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie.

Néanmoins, lentement, sans fanfare, des signes de dégel dans les relations entre les deux pays se manifestent. Les vols directs reprennent; la Russie recommence à délivrer des visas aux ressortissants géorgiens. En mars, les deux pays ont renoué leur communication terrestre par la réouverture du poste-frontière de Verkhni Lars, situé à quelques 170 kilomètres au nord de Tbilissi et seul point de passage entre la Russie et la Géorgie se trouvant hors des régions séparatistes géorgiennes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. En décembre 2009, le président russe a même déclaré qu’ «il ne devrait pas y avoir de problème» pour la levée de l’embargo sur les importations de produits géorgiens imposé par la Russie en mars 2006 à la suite d’une querelle entre les deux pays au sujet de la présence de soi-disant espions russes sur le territoire géorgien.

Ce soudain réchauffement des relations est en grande partie lié au désir de la Russie de faire des prochains Jeux Olympiques d’hiver de 2014, qui auront lieu à Sotchi, ville bordant la Mer Noire à l’est du Caucase du Nord, un immense succès susceptible de rehausser le statut du pays dans la communauté internationale. Le Kremlin veut éviter les heurts avec la Géorgie au sujet de l’Abkhazie, qui n’est située qu’à seulement 25 kilomètres de Sotchi.

Il n’en reste pas moins que le Kremlin utilise son «occupation» de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud pour affermir sa position géostratégique dans le Caucase du Sud. La Russie ne cache pas son désir de renverser le régime du président Mikheil Saakashvili, qui veut faire entrer son pays dans l’OTAN et à plus long terme l’intégrer dans les structures de l’Union européenne. La guerre d’août 2008 n’a pas permis à la Russie d’atteindre ses objectifs. Le but de la Russie n’était point de rendre l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud indépendants vis-à-vis de la Géorgie, mais plutôt de pousser les Européens et les Américains hors de la région pour reprendre le contrôle sur ce que le président Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine appellent la «sphère d’influence privilégiée» de la Russie. Le doute plane cependant sur les intentions de Moscou depuis la signature du cessez-le-feu et un «deuxième round» dans le conflit russo-géorgien n’est pas impossible.

En fait, il est plus probable que le Kremlin cherche à augmenter la pression sur le régime de Saakashvili à la fois en exacerbant les troubles internes par diverses manoeuvres de déstabilisation et en resserrant l’étau autour des frontières russo-géorgiennes par l’établissement de bases militaires sur les territoires «conquis». Les dirigeants russes sont conscients que, compte tenu d’un sentiment anti-russe très fort au sein de la société géorgienne et d’une réelle aspiration à ancrer le pays dans l’Europe, il serait extrêmement risqué de vouloir imposer un gouvernement pro-russe à Tbilissi à la suite d’une invasion et d’une victoire militaire définitive. La stratégie la plus efficace est donc de déstabiliser le pays en ayant recours à des tactiques d’intimidation et en soutenant des partis politiques d’opposition au régime de Saakashvili. Par exemple, en février, Zurab Nogaideli, ancien Premier ministre et actuel leader de la Géorgie pour un mouvement public et équitable, a entrepris d’établir un «dialogue» avec les autorités russes dans le but de «permettre la réunification du pays» et de «redonner aux produits géorgiens accès au marché russe». Dans la même foulée, il s’est rendu à Moscou pour une rencontre dans les bureaux de Poutine, après quoi un accord de coopération fut signé entre son parti et le «parti du pouvoir», Russie unie, dirigé par nul autre que Vladimir Poutine.

En parallèle, le Kremlin fait très peu pour dissiper l’impression qu’il prépare une action militaire dans le Sud-Caucase. Selon certaines estimations, la Russie aurait environ 10 000 troupes déployées en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Elles seraient équipées de plusieurs systèmes de lancement de missiles SS-21 Scarab déployés au nord de Tskhinvali, capitale de l’Ossétie du Sud. La présence de tels missiles, d’une portée comprise entre 70 et 120 kilomètres, met donc Tbilissi à portée de tir, puisque seulement une centaine de kilomètres la sépare de Tskhinvali. En Ossétie du Sud, la Russie a récemment achevé la construction de quatre bases militaires. En Abkhazie, elle réhabilite les installations navales d’Otchamtchira sur la Mer Noire et modernise la base de Bombora.

La situation régionale et internationale est peu propice à une nouvelle guerre dans le Caucase du Sud, mais il importe de ne pas oublier que la fabrication de casus belli est une tradition séculaire en Russie.

bioline

Richard Rousseau est professeur agrégé en relations internationales à l’Université de la Géorgie et chroniqueur au journal The Georgian Times à Tbilissi.

(Photographies: La Presse Canadienne/En Haut:Dmitry Lovetsky)
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