Désarmement ou non prolifération ?
S’agit-il d’un accord START II… 2, après l’acte manqué de 1993 (traité jamais ratifié), ou un traité de Moscou déplacé à Prague et légèrement corrigé (le traité de Moscou a été signé entre Bush et Poutine en 2002) ? Difficile en fait de donner un nom au nouvel accord bilatéral de désarmement nucléaire entre les Etats-Unis et la Russie signé entre Medvedev et Obama à Prague. Une chose est certaine en tout cas, à quelques semaines de la conférence d’examen du Traité de Non Prolifération (TNP) et consécutivement aux engagements forts du président américain (discours de Prague sur le désarmement total, abandon du bouclier antimissile et souhait en faveur d’un nouveau traité), cet accord marque le retour d’une gestion bilatérale des questions de désarmement nucléaire. On ne saurait dès lors que s’en réjouir.
Au-delà de cette satisfaction légitime, quelle est la portée réelle de cet accord, et à quoi sert-il exactement ?
Avec des objectifs de réduction du tiers des arsenaux des deux premières puissances nucléaires, cet accord semble a priori ambitieux, mais ne dépasse finalement que de peu les objectifs fixés à l’occasion des traités et accords antérieurs. Il n’y a donc pas véritablement de rupture, et les souhaits d’une dénucléarisation complète de Barack Obama, exprimés il y a un an à Prague, sont encore loin. De même, le contenu de cet accord est sujet à examen, en ce qu’il comporte des points aussi curieux que de compter les bombardiers nucléaires au même titre que les têtes nucléaires, alors que ces engins peuvent en transporter jusqu’à une vingtaine. Il s’agit donc d’un pas, mais très loin du scénario d’un désarmement majeur, comme il fut souvent présenté.
Cet accord sert donc plutôt deux objectifs. D’une part, il permet à Washington d’envoyer à Moscou un message clair sur ses intentions de reconduire l’approche bilatérale laissée de côté sous l’administration Bush. Le président Obama souhaite en effet coopérer plus activement avec la Russie sur le désarmement, et installer dans le même temps un climat de sécurité et de confiance qui avait en partie disparu. Le redéploiement du projet de bouclier antimissile (voire son abandon, si on se réfère au projet initial) est ainsi à associer étroitement à cette rencontre. Les mauvaises langues diront que Washington fait ici le jeu de Moscou, qui souhaitait à la fois un abandon de ce projet et une reprise des pourparlers bilatéraux depuis longtemps, et ils n’auront pas totalement tort. Mais de manière plus pragmatique, nous noterons que le retour du tandem Moscou-Washington en matière de désarmement nucléaire était nécessaire, et c’est donc une bonne nouvelle.
D’autre part, cet accord est un message envoyé aux Etats proliférants. L’Iran et la Corée du Nord en tête. En « donnant l’exemple » en s’engageant sur la voie du désarmement, Washington et Moscou souhaitent responsabiliser ces Etats, à un mois de la conférence d’examen du TNP, et faire preuve de plus de crédibilité sur le terrain de la lutte contre la prolifération. Le désarmement ne serait dès lors qu’un moyen de renforcer les dispositifs en matière de non prolifération, qui reste la priorité en matière de contrôle des armements.
Mais c’est surtout la finalité de l’accord qui soulève des interrogations. Et à cet égard le deuxième objectif de cet accord bilatéral est sujet à questionnement, voire débat. On pourrait se demander ainsi si les efforts en matière de désarmement sont vraiment une garantie en faveur d’une lutte contre la prolifération plus efficace. Certaines puissances nucléaires, notamment la France et la Chine, pensent que ce n’est pas le cas. Pour Paris notamment, la question du désarmement ne devrait pas devancer celle de la non prolifération, au risque de donner l’impression aux Etats proliférants que leur argument principal, à savoir une « injustice » opposant les Etats détenteurs de l’arme nucléaire (EDAN) et les Etats non détenteurs de l’arme nucléaire (ENDAN) doit être condamnée, est entendue et recevable. Il serait ainsi préférable de régler les questions de prolifération d’abord, avant de s’engager ensuite dans un désarmement ambitieux.
Placer le désarmement avant la lutte contre la prolifération, ou l’inverse : voilà une question qui fait débat, qui n’est pas près de s’estomper, et qui animera sans aucun doute les débats à l’occasion de la conférence d’examen du TNP.
Dans des billets ultérieurs, je reviendrai sur les conséquences possibles de cet accord, ainsi que sur le sommet sur la sécurité nucléaire de Washington, les 12 et 13 avril.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
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