Obamacare
J’ai compris, j’ai compris, Obama est maintenant un grand président. Vous pouvez arrêter de me le dire et de l’écrire, je l’ai entendu, je l’ai lu, je vous crois. Il a réussi là ou les Clintons ont échoués. Bravo! La plus grande réforme d’une politique sociale en Amérique depuis des générations. Formidable! Pour certains démocrates, c’est le couronnement de leur carrière, ce pour quoi ils se sont battus pendant des années. C’est drôle, il y a quelques semaines à peine c’était la zizanie chez les démocrates. Le navire prenait l’eau et les matelots sautaient déjà dans les embarcations de secours. Peu importe… Le Président Obama, indécis? Après les doutes, il a su s’imposer. Il a fait mordre la poussière aux républicains. Ça va, ça va… C’est Roosevelt réincarné, je pige!
N’empêche…
Dépendant des sondages, environ 50% des américains ne veulent pas du projet qui a été adopté. Au risque de décevoir, je dirais, d’ailleurs, que les tenants et aboutissants de cette réforme sont loin d’êtres clairs.
Les supporters de la réforme reconnaissent qu’elle n’est pas parfaite, mais ils affirment que c’est tout de même une grande avancée – c’est ce qui était possible. Je veux bien, sauf que la logique du projet est difficile à saisir, pour ne pas dire byzantine. Est-ce une bonne politique? (La machinerie gouvernementale américaine est-elle encore capable de produire de bonnes politiques publiques? Un débat intéressant, pour une intervention future.) Je suis content de savoir que tous les américains auront maintenant accès à une assurance santé s’ils la veulent. Je me demande, cependant, si les grands gagnants de la réforme ne seront pas les compagnies d’assurances, indépendamment de la rhétorique politique. Tout américain devra s’acheter de l’assurance, au risque de payer un impôt supplémentaire s’il ne le fait pas. Pour les plus pauvres, le gouvernement leur octroiera une aide financière pour couvrir les frais de leur police. Le gouvernement subventionnera, donc, indirectement les grandes compagnies d’assurances. C’est ça l’assurance santé? Pour les plus pauvres, même avec l’aide du gouvernement, il y aura un fardeau financier supplémentaire. Le budget de la semaine n’en sera que plus serré, compensé bien évidemment par la promesse de soins en cas de maladie. Les compagnies d’assurances ne pourront plus refuser des patients qui ont des conditions préalables. Cet aspect-là est très important. Mais avec un nouveau marché de plus de trente millions d’américains, les assureurs devraient s’en tirer relativement bien. D’ailleurs, quels produits exactement offriront les assureurs à leurs nouveaux clients? Quels en seront les attrapes? Il me semble aussi que l’un des objectifs initiaux était le contrôle des coûts. De ce que je comprends, il n’y a pas grand-chose dans cette réforme pour faire face à ce défi.
De façon plus large, le Président a utilisé beaucoup de capital politique sur ce dossier. Il ne pourra pas pousser les récalcitrants dans son parti comme ça à chaque fois. Il est facile de parler de momentum, mais transformer cet élan en de nouvelles victoires politiques c’est autre chose. L’environnement, la réforme du secteur financier et plusieurs autres grands projets attendent toujours. L’économie va mieux, mais le chômage reste élevé et la création d’emplois tarde.
La victoire en santé ne renverse pas nécessairement la tendance politique. Les républicains sont toujours en bonne position pour faire des gains électoraux importants à l’automne. Une victoire, aussi importante soit-elle, ne change pas complètement ici la donne. Il est difficile de prédire la place qu’occupera l’assurance santé dans ces élections au congrès. Les démocrates continueront certainement de crier victoire. Les républicains s’en prendront encore, tout au moins, au coût du projet, surtout en période d’austérité financière. L’assurance santé sera-t-elle un grand enjeu de la campagne? Peut-être que d’ici là, la pilule aura été avalée et que les américains seront fatigués de ce débat qui n’en finit plus. Difficile à dire… Et, si c’est bel et bien un enjeu, à qui profitera-t-il?
Il ne s’agit pas d’être pour ou contre ce Président, ou de dénigrer ce qui a été réussit. Il ne s’agit pas d’être pessimiste. Il est, en fait, possible de saluer la victoire d’Obama la semaine dernière, tout en pensant qu’il a toujours devant lui de grands défis. En bref, il n’est pas sorti du bois!
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
Cette “victoire à l’arraché” a effectivement supposé des compromis importants par rapport au projet initial et n’est pourtant portée que par des soutiens extrêmement dispersés. C’est le caractère tout à fait particulier du contexte politique aux Etats-Unis qui a permis la réforme : capital politique relativement fort de Barack Obama, calme relatif sur les questions de politique extérieure, appels vers le centre etc.
Du fait de l’importance de la conjoncture, ne peut-on pas imaginer que la prochaine administration en place, démocrate ou républicaine, s’empressera de dénaturer la réforme afin de regagner des soutiens ? (une dénaturation permettrait de satisfaire le lobby des assureurs sans provoquer le choc d’une suppression pure et simple des mesures)
Dénaturer, ou renverser la réforme me semble peu probable. Dans un système parlementaire de style Westminster, un nouveau gouvernement majoritaire peut abroger ou apporter des modifications significatives à des lois déjà adoptées. Aux USA, nous savons que ça ne se passe pas comme cela. Toute nouvelle proposition sera extrêmement controversée et difficile à faire passer.
La meilleure chance des Républicains, ou d’un groupe de lobby, s’ils veulent vraiment faire tomber cette loi, c’est les tribunaux. L’aspect partisan du système juridique américain se prêtre bien à ce type de recours. Si la réforme de santé se retrouve devant la Cour suprême, ce qui n’est pas impossible, il est difficile, il me semble, de prédire avec certitude la décision qui sera rendue.