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Le Honduras et l'ouragan politique

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Le Honduras et l'ouragan politique

Comme on pouvait s’attendre, les événements récents au Honduras ont suscité une avalanche de commentaires dans la presse internationale. Il a sûrement été difficile pour bien des journalistes de résister à la tentation d’écrire une manchette aussi percutante que simpliste : « Le premier coup d’État en Amérique latine depuis la fin de la guerre froide ». Bien que l’on soit, indubitablement, devant une profonde crise institutionnelle, voire une rupture de l’ordre constitutionnel au Honduras, ce qui caractérise véritablement la situation est, d’une part, la présence de nombreuses zones grises en ce qui concerne les faits sur le terrain et, d’autre part, la remarquable clarté, unanimité et célérité des réponses étrangères devant une réalité pour le moins confuse. Il est ironique de noter que, le plus souvent dans la région, on est confronté au schéma inverse : un incident dont la signification est évidente – par exemple, un conflit violent qui découle d’une lutte politique ou d’une tension sociétale – et, face à cela, les tergiversations de la communauté internationale et le souci de neutralité dans le vocabulaire pour ne pas préjuger de la légitimité des griefs respectifs des parties concernées. Or, dans le cas du Honduras, il n’y a pas eu de temps ou de place pour la nuance, une réaction qui a pris par surprise beaucoup de Honduriens qui ont eux-mêmes de la difficulté à déchiffrer ce qui leur arrive et qui ne voient pas forcément les choses en noir et blanc comme semblent le faire les observateurs étrangers. Il va sans dire que le concert des voix qui s’élèvent partout – pour exprimer l’indignation morale et pour sommer le Honduras à rentrer dans le bon chemin – serait moins retentissant s’il ne s’agissait pas d’un pays dont le poids géopolitique est infime. Sans pour autant nier le sérieux de la situation ou minimiser la menace pour l’état de droit que l’actuelle crise hondurienne représente, il est nécessaire de saisir les enjeux dans leur contexte et d’échapper aux lectures réductionnistes.zorb ball prices

La dernière fois où le Honduras a fait la une des médias dans le monde a été lorsque l’ouragan Mitch a dévasté le pays en 1998. Contrairement à ses voisins – le Nicaragua, El Salvador, le Guatemala, – le Honduras n’a pas connu, dans les dernières décennies, de révolution, de guerre civile ou de génocide. Bien que la violence politique et la dictature n’aient pas toujours épargné le Honduras, il est possible de parler d’une relative stabilité depuis le retour à la démocratie au début des années 1980. Mais cette stabilité, assurée par une classe politique qui s’alterne au pouvoir par l’entremise de deux partis de centre-droite, n’a pas favorisé, comme c’est le cas au Costa Rica, l’émergence d’institutions solides ou l’amélioration des conditions de vie de la population. Parmi les pays les plus pauvres du continent, le Honduras est ravagé par les gangs de rue (les « maras »), la corruption et la stagnation économique. Société plutôt conservatrice avec un électorat modéré, le Honduras n’a pas suivi le tournant à gauche que l’Amérique latine a connu depuis quelques années. En fait, c’est le président Manuel « Mel » Zelaya, un entrepreneur populiste qui durant la campagne électorale avait promis de combattre la pauvreté et d’endurcir la répression de la criminalité, qui a produit par lui-même le virage à gauche, se rapprochant du Venezuela et de ses alliés régionaux. En 2008, le Honduras a rejoint l’ALBA, le projet d’intégration lancé et financé par Caracas. Zelaya s’est ainsi mis à dos son propre Parti Libéral, majoritaire au Congrès national. Quand il a tenté d’organiser un référendum en vue d’une réforme constitutionnelle qui lui permettrait de briguer un deuxième mandat présidentiel en novembre 2009, la Cour suprême, le Tribunal électoral et le Procureur général ont tous déclaré le geste illégal. Le Congrès a alors entamé une procédure de destitution du président.

On connaît bien la suite de l’histoire. À l’aube du 28 juin, des militaires ont fait irruption dans la maison de Zelaya et, toujours en pyjama, ils l’ont conduit de force au Costa Rica. Le président du Congrès, Roberto Micheletti, a été alors désigné président par intérim du Honduras, avec l’appui unanime des législateurs. L’image de soldats qui séquestrent un président et qui l’envoient en exile est singulièrement répugnante pour quiconque connaît l’histoire de l’Amérique latine. Peu de gens, même ceux qui appuient la destitution de Zelaya, sont convaincus de la sagesse d’un tel acte. Coupable ou innocent, n’avait-il droit à un procès qui lui aurait permis de se défendre des accusations? Mais laissons à d’autres le soin d’assigner le blâme dans ce drame et concentrons-nous sur son contexte et ses effets. Signalons, d’abord, que les mœurs politiques honduriennes sont – même selon les standards centroaméricains – particulièrement brutales. Il y a seulement quelques mois, le vice-président du Congrès national – un homme de confiance de Micheletti – a été abattu dans la rue par un commando. Aucune piste sur l’identité ou le motif du crime n’a été encore mise au jour. En mai dernier, Micheletti a dénoncé formellement et publiquement l’existence d’un complot pour l’assassiner, laissant entendre que le « Pouvoir exécutif » serait impliqué. Coup de théâtre en vue de lancer sa candidature aux présidentielles? On n’en sait rien. Mais, chose certaine, le climat politique – et en particulier le conflit entre Zelaya et Micheletti – était déjà envenimé au plus au point. « Coup d’état », comme le caractérisent la plupart des observateurs étrangers (et Zelaya lui-même, bien évidemment) ou « succession présidentielle », comme insistent les autorités politiques honduriennes, appuyées par la majorité de l’opinion publique de ce pays (mentionnons à ce propos que, selon un sondage CID-Gallup, 63% des Honduriens justifient la destitution de leur président)? La vérité se trouve peut-être entre les deux opinions extrêmes.

Obama n’a pas manqué de profiter de la crise hondurienne pour annoncer, haut et fort, un changement de cap de Washington vis-à-vis de l’hémisphère, surtout en rupture avec l’approche de son prédécesseur. Chávez, quant à lui, n’a pas tardé à se porter au secours du président déposé (se livrant même à des mouvements de troupes et à des discours belliqueux). La présidente Kirchner, au lendemain d’une défaite électorale humiliante et devant rendre compte de son inaction face au progrès de la grippe A en Argentine, s’est aussitôt envolée vers l’Amérique centrale pour accompagner Zelaya dans sa très médiatisée tentative de retour au Honduras. Les commentateurs de droite ont présenté la crise hondurienne comme l’illustration de l’influence néfaste de Chávez. Les critiques de gauche ont crié à la complicité des forces armées avec les élites pour mater les avancées « socialistes » de Zelaya. L’OEA a eu l’occasion de s’affirmer comme acteur multilatéral en appliquant, pour la toute première fois et avec peu de risques, la « clause démocratique », une opération qui s’avérerait beaucoup plus délicate si le pays en cause avait le potentiel de déstabiliser la région. Bref, il semble que tous et chacun s’empressent d’instrumentaliser le malheur qui frappe ce petit pays centroaméricain. Les Honduriens, eux, sont probablement estomaqués de voir les puissants du monde faire la leçon et porter jugement de manière aussi tranchante que rapide à leur égard, cela sur la base d’événements qui, bien qu’exceptionnels, s’inscrivent dans une dynamique politique difficile à comprendre de l’extérieur. La situation est certes grave et la démocratie doit être préservée sans compromis ni impasse. La communauté internationale doit demeurer vigilante et, au besoin, faciliter le dialogue entre les parties et servir d’ultime garant du processus de normalisation. Mais plutôt qu’engager la voie facile de prendre le Honduras en otage des machinations géopolitiques et des élans idéologiques des uns et des autres, il faudrait donner à ses citoyens la chance de trouver leurs propres solutions.

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Victor Armony est professeur de sociologie et directeur de l’Observatoire des Amériques à l’Université du Québec à Montréal. Il est aussi le rédacteur en chef de la Revue canadienne des études latino-américaines et caraïbes.

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