Obama en terre d’Islam
A Riad, en Arabie Saoudite, l’offre obamienne est claire : le 11 septembre est une page sombre mais tournée. L’acte odieux des islamistes ultra wahhabites en est un dont la responsabilité ne devrait pas être portée par la monarchie mais seulement par les benladinistes. Par contre, les relations stratégiques et des ententes économiques avec Washington qui remontent au moins à 1945 ont traversé le pire. Avec les Saoudiens, les États-Unis ont scellé l’alliance la plus solide avec une puissance arabe et musulmane au sein du système bipolaire de la guerre froide. La victoire contre l’empire soviétique a été possible grâce à ce blocage islamique contre la sortie de Moscou de ses frontières et vers les eaux chaudes. Ajoutons son échec à maintenir son influence en terre d’Islam (l’expulsion des experts soviétiques de l’Égypte à la vielle des accords du camp David et la signature de la paix avec Israël, ainsi que la défaite de l’armée rouge en 1989 devant les Moudjahidines avec l’appui logistique fourni par les Américains!). Après sa visite au berceau de l’Islam, Obama souhaiterait mettre en branle un nouvel arrimage américano- saoudien sur l’encerclement des islamistes combattants sunnites à l’instar des talibans. Aussi il cherchait à s’entendre sur un rôle saoudien de contrepoids afin de garder les prix du cours de pétrole à un niveau acceptable pour la relance de l’économie mondiale.
Au Caire, le discours du Président Obama s’est centré sur son approche non Bushienne! En fait, il a réussi à en dresser une de démarcation avec l’approche de son prédécesseur républicain comme elle est largement perçue. L’heure est au dialogue des religions et non au choc. L’approche obamienne est éloquente : l’Islam libéral est possible. Les préjugés qui le réduisent à ceux que les activistes terroristes ont fait de son image comme pourvoyeur de violence devraient être dissipés. Ou pour le moins devraient être nuancés. Obama insiste que l’Islam n’est pas l’ennemi alternatif cherché suite à l’effondrement du communisme, l’ennemi à abattre par les stratèges occidentaux. Un autre aspect de l’offre obamienne : on prend note de la transition lente et peu élargie de la démocratie. Par contre, il n’y a pas lieu qu’une nation impose ses valeurs et son mode de vie sur une autre. Un autre clou dans le cercueil de la doctrine néoconservatrice si ambitieuse de propager la démocratie par la contrainte. Pour Obama, l’important sera d’oeuvrer selon les intérêts communs et non pas nécessairement des valeurs communes.
En tout cas, ce nouveau discours d’Obama envers l’Islam et les musulmans et sa quête de trouver une plateforme d’entente sans nier les points de litige existants, a des visées stratégiques constantes :
1-Recentrer la guerre contre la mouvance d’al Qaïda en omettant de mentionner la notion courante de « la guerre contre le terrorisme » et l’autre désastreuse guerre contre le pays de « l’axe du mal ». Ce qui est une tentative tant souhaitée de faire la déconnexion entre la religion de l’Islam et les activistes islamistes. Par conséquent, les États-Unis pourraient reconsolider leur influence en terre d’Islam au point de sauvegarder leur statut comme la première puissance et non l’unique qui se dote d’un droit de regard le plus saillant sur cet espace aux frontières des empires chinois et russe ! Et du coup, améliorer leurs chances d’éviter l’effondrement de la mission de l’OTAN en Afghanistan. Par le fait même, sauver le Pakistan nucléaire de devenir un État failli ou être victime d’un chaos incontrôlable.
2- Mettre en relief la finalité des pourparlers et des négociations autour du conflit entre Arabes et Israéliens. Sans évoquer des détails précis sur le sort de Jérusalem et des réfugiés, la solution des deux États comme l’unique en vue et la seule acceptée minimalement pour sortir de la crise qui dure depuis plus d’un siècle. Cela est réconfortant pour les Arabes, surtout pour les deux pouvoirs à Riad et au Caire. Même affaiblis et débordés par l’obstruction des horizons de la paix par Israël et les surenchères de l’Iran ambitieuse d’élargir sa zone d’influence au détriment du recul des puissances sunnites et arabo-sunnites. Il reste à observer la résultante de ce bras de fer entre les deux dirigeants, récemment aux commandes, Benjamin Netanyahou, le premier ministre israélien, et le nouveau locataire de la Maison Blanche. Sans oublier que cette alliance stratégique est « inaltérable » et « indéfectible », selon la description obamienne. Mais qui devrait traiter de la situation « intolérable » des Palestiniens? Eux qui endurent la faiblesse de leur Autorité et les rivalités ensanglantées entre leurs représentants, surtout ceux du Fateh et ceux des Islamistes du Hamas contrôlant Gaza. Le Président Obama a eu le courage de mettre en urgence la solution de la question palestinienne. Même il l’a rendu déterminante pour sa diplomatie au Moyen Orient. D’où les attentes élevées suscitées par cette nouvelle approche distincte de celles adoptées par ses prédécesseurs.
3- Mettre en relief l’importance des libertés et des droits religieux, surtout en citant les deux cas des Coptes, la grande minorité chrétienne égyptienne (le nom du pays dérive de leur nom) et des maronites catholiques du Liban (qui ont été les pionniers dans la formation du Liban en 1920 et durant l’indépendance en 1943). Même s’il eût été plus sage d’évoquer le sort de toutes les minorités chrétiennes dans l’espace musulman, cela a été bien accueilli. Surtout que les soupçons pèsent sur l’Administration Obama du fait de ce retour au réalisme politique compris parfois comme un délaissement de la promotion des droits de la personne. Des craintes surtout formulées par des opposants aux régimes en place : des libéraux, des féministes, des modernistes, et même des Islamistes !!
Ceci étant dit, les regards se dirigent dorénavant vers le dossier le plus chaud : les relations entre Obama et l’Iran. Les élections libanaises ont déçu à Hizbollah, qui contrôle en principe le terrain libanais mais qui n’est plus, avec ses alliés, en position majoritaire au sein du parlement libanais. Dès le lendemain des élections iraniennes le 12 juin, on verra si le retour du Président Mahmoud Ahmadinejad déclencherait le compte à rebours de la négociation ou la confrontation entre Téhéran et Washington (et Tel-Aviv). Ces résultats seront déterminants pour l’avenir de la diplomatie américaine : restera-t- elle simple observatrice ou deviendra-t-elle partenaire dans la pacification tant attendue? Mais aussi et surtout pour l’avenir des peuples de cet espace moyen oriental : juif, chrétien et majoritairement musulman. Leur avenir resterait tributaire des secousses et des turbulences du fait qu’ils vivent sur le passage des grands éléphants. Par contre, le discours Obama devrait leur offrir quelques lueurs d’espoirs qu’ils souhaitent ne pas être un mirage.
Sami Aoun, bloggeur chez Global Brief, est professeur titulaire à l’École de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke. Spécialiste du Moyen-Orient, il est chercheur au Groupe de recherche société, droit et religions à Sherbrooke et chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand à l’Université du Québec à Montréal.