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Mali et Syrie: réactions dans le monde arabe?

Spring / Summer 2013 Query

Mali et Syrie: réactions dans le monde arabe?

Mali et Syrie: réactions dans le monde arabe?Géographie, économie, idéologie et considérations politico-sécuritaires y déterminent des positionnements nationaux à géométrie variable

Une intervention militaire étrangère dans un conflit interne suscite moult prises de position et rarement le consensus international. L’intervention conduite par la France au Mali et celle menée, de façon indirecte, en Syrie ne font pas exception. Il existe un quasi consensus arabe pour un soutien à une intervention militaire directe ou indirecte en Syrie, afin de soutenir l’opposition armée contre le régime de Bachar el-Assad. Les seuls bémols viennent de trois États – l’Algérie, le Liban et l’Irak – qui ont émis des réserves quant à deux décisions de la Ligue des États arabes: l’octroi du siège de la Syrie à l’opposition et la livraison d’armements aux groupes insurgés. Dans le cas du Mali, le rapport pour/contre est plus contrasté et relativement équilibré avec, pour une majorité des États arabes, des positions de relative indifférence. Ainsi, les pays soutenant l’intervention française sont l’Algérie, le Maroc, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et la Mauritanie. Ceux qui s’y opposent clairement sont la Tunisie, l’Égypte, la Libye et le Qatar.

Afin d’analyser la façon dont les positions arabes se sont développées, nous utiliserons quatre paramètres: l’appartenance géographique, les intérêts économiques, l’influence idéologique et les considérations politico-sécuritaires.

Le positionnement de certains pays arabes par rapport aux conflits malien et syrien s’explique-t-il par la proximité géographique? Commençons par le conflit malien. En postulant que la proximité géographique pèse de manière déterminante sur la politique étrangère des pays sahélo-maghrébins, les positions de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc devraient être dictées par ce paramètre. Ainsi l’Algérie commence-t-elle par exprimer ses réticences à l’idée d’une intervention militaire, avant de changer de position. Les 1 400 kilomètres de frontières sont devenus plus virtuels que jamais, d’autant que le sud algérien est le théâtre de mouvements sociaux potentiellement déstabilisateurs. Quant à la Tunisie, qui ne partage pas de frontières avec le Mali, son opposition tranche avec l’appui du Maroc, qui ne dispose pas de son côté de prolongement saharien. Il semble donc que la fragilité intérieure de la Tunisie ainsi que sa proximité avec la Libye, expliqueraient l’opposition tunisienne.

Quoi qu’il en soit, les positions marocaine et tunisienne sont intéressantes à analyser car elles relativisent le poids du facteur géographique comme facteur explicatif – une relativisation confirmée par les positions du Qatar et de l’Égypte, d’une part, et de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis d’autre part. Le Qatar et l’Égypte, en dépit d’un invraisemblable effet de contagion du conflit sur leur territoire, sont opposés à l’action française au Mali.

Qu’en est-il des positionnements, par cercles concentriques, à l’égard du conflit syrien? Constitué des pays limitrophes, les positions du premier cercle (Liban, Jordanie, Irak et Syrie) sont-elles dictées par la crainte d’un débordement humain qui privilégierait l’opposition à une intervention militaire? Si le Liban et l’Irak se montrent opposés à toute intervention armée, la Jordanie y est favorable, en dépit de la présence sur son territoire de milliers de réfugiés syriens. Le second cercle est constitué de pays arabes sans frontières avec la Syrie, mais dont l’influence régionale est incontournable. Pour l’Égypte et les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), où l’effet de contagion est hautement improbable, les positions sont consensuelles. Composé des pays du Maghreb, le troisième cercle est comparable au premier de par son hétérogénéité. Contrairement au cas malien, la Tunisie soutient une intervention armée en Syrie, à l’instar du Maroc et de la Libye. Seule l’Algérie fait exception, rejoignant ainsi l’Irak et le Liban dans leur refus de reconnaître l’opposition syrienne.

Si la loi de la proximité à un conflit explique la quasi-indifférence des États arabes du Machrek quant à la guerre au Mali, la proximité n’implique cependant pas des réactions similaires. Ainsi les pays de l’Afrique du Nord apparaissent-ils divisés. L’Algérie, le Maroc et la Mauritanie soutiennent l’intervention militaire française, considérant que la prise de Bamako par une alliance Ansar Eddine/MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) aurait un impact sur leur sécurité nationale. La Mauritanie s’engage dans le cadre d’une force internationale de paix onusienne, et le Maroc ouvre son espace aérien à l’aviation militaire française et s’implique financièrement dans la résolution du conflit. Quant à l’Algérie, elle a non seulement ouvert son espace aérien, mais a également fourni aux troupes françaises un soutien logistique et de renseignement.

La position de l’Algérie suscite une vive polémique, car elle est qualifiée de contradictoire avec le soutien à une solution politique négociée du conflit. Cependant, face à la volte-face d’Ansar Eddine, l’Algérie doit au moins temporairement renoncer à sa position de médiatrice afin d’axer son action sur la lutte antiterroriste, d’autant que les premières répercussions sécuritaires se sont produites avec la prise d’otages du complexe gazier d’In Amenas et la montée en puissance des mouvements sociaux dans les villes du sud. Pourquoi, dans ce cas, l’Algérie n’adopte-t-elle pas une position plus tranchée, comparable à celle de la Mauritanie ou du Maroc? La politique étrangère et de défense de l’Algérie reste dictée par des principes érigés au lendemain de l’indépendance et qui, depuis, ont été sacralisés. L’usage exclusivement défensif de la force, le respect de la souveraineté et de l’intégrité des États et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures semblent inscrits en lettres de sang. Par ailleurs, et c’est peut-être l’élément le plus significatif, ouvrir un front extérieur implique, pour l’Algérie, de garantir un front intérieur soudé. Or, mener une guerre contre une partie des Touaregs maliens, sachant que les Touaregs algériens vivent dans un contexte socioéconomique difficile, apparaît comme trop risqué.

La nature des régimes concernés par cette analyse exige de compléter les considérations de sécurité nationale par celles liées à la sécurité du régime. Ainsi le soutien que le CCG, et notamment le Qatar et l’Arabie saoudite, apporte à l’opposition syrienne peut-il aisément être lié à la volonté des familles régnantes de maintenir un pouvoir monarchique quasi absolu – un objectif plus facile à réaliser si le Printemps arabe débouche sur des régimes conservateurs. C’est d’ailleurs cet objectif de politique intérieure qui explique l’empressement à soutenir l’opposition armée en Syrie et à intervenir militairement pour réprimer l’opposition pacifique au Bahreïn.

Comme on peut le constater, le positionnement des pays arabes vis-à-vis de ces deux conflits est fortement contrasté. Aussi doit-on relativiser le caractère déterminant des paramètres géographique et sécuritaire. Faut-il dans ce cas-là chercher ailleurs les motivations de ces positionnements? Examinons le paramètre économique.

La position de l’Irak et du Liban vis-à-vis du conflit syrien s’explique par des considérations économiques. Partageant des frontières avec la Syrie, ces deux pays craignent de subir les conséquences économiques de la guerre civile. Le Liban est le plus susceptible de subir un impact économique dans la mesure où le transport terrestre, très florissant avant la crise, subit les contrecoups de la fermeture des frontières. En effet, les exportations et les importations du Liban vers les pays du Golfe et les autres pays du Moyen-Orient se font à travers la Syrie. Dans le domaine touristique, le circuit Syrie-Liban-Jordanie est rompu, ayant fait chuter de 25 pour cent le nombre de visiteurs au Liban en 2011. Enfin, le secteur financier subit lui aussi les contrecoups de ce conflit. Fortement présentes en Syrie, les banques libanaises en sont les premières victimes. Elles risquent de perdre les crédits alloués au secteur privé syrien en raison des sanctions internationales qui bloquent le transfert de l’argent du Liban vers la Syrie.

La Jordanie est tout aussi pénalisée économiquement, le tourisme constituant un secteur essentiel. Dans le second cercle, le Qatar est très affecté par la guerre civile en Syrie. Depuis 2005, cet émirat y a investi plus de six milliards de dollars dans les secteurs de l’immobilier et du tourisme.

Dans le conflit malien, le critère économique est particulièrement important dans le cas de l’Algérie. En effet, la guerre se déroule à proximité du sud algérien qui renferme les richesses énergétiques dont l’économie algérienne est fortement dépendante. À cela s’ajoutent les investissements de la Sonatrach (compagnie algérienne des hydrocarbures), localisés au nord du Mali et directement menacés par les groupes armés contrôlant cette région.

Le paramètre idéologique peut-il expliquer qu’un État soutienne ou pas une intervention étrangère dans les conflits malien et syrien? Une réponse affirmative signifierait que les États dits progressistes et laïcs se rejoignent sur une position commune, opposée à la position des pays dirigés par des conservateurs traditionnellement pro-occidentaux, mêlant allégrement politique et religion. Il n’en est rien, mais cela ne disqualifie pas pour autant l’idéologie comme facteur explicatif.

Commençons par le cas du Mali. L’Arabie saoudite, chantre du conservatisme religieux, allié traditionnel des États-Unis depuis plus d’un demi siècle, soutient l’intervention française au Mali contre Ansar Eddine, dont le leader a pourtant été en poste à Djedda. Son voisin et rival qatari, tout aussi conservateur et pro-occidental, soutient le mouvement islamiste allié aux groupes terroristes de la région. L’empreinte du Qatar explique peut-être la triple opposition des gouvernements tunisien, libyen et égyptien, tous trois issus du Printemps arabe, dans lequel le Qatar a joué un rôle prépondérant.

En revanche, l’Arabie saoudite et le Qatar sont partisans d’une intervention militaire contre le régime Assad, sans pour autant armer les mêmes protagonistes. En effet, les Saoudiens soutiennent les Salafistes, tandis que le Qatar soutient les Frères musulmans. Or, bien qu’appartenant à l’islamisme sunnite, ces deux tendances n’adoptent pas la même stratégie. Pour finir, le paramètre idéologique hérité de la Guerre froide pousse-t-il l’Algérie et l’Irak à se solidariser avec la Syrie, trois alliés historiques de la Russie, farouchement opposée à une intervention en Syrie? Dans ce carré, deux lignes idéologiques se croisent: l’une est d’ordre confessionnelle et relie l’alaouisme des Assad au chiisme du gouvernement irakien; l’autre est politique – la doctrine souverainiste de la non-ingérence dans les affaires intérieures – et relie l’Algérie à la Russie.

Les conflits syrien et malien sont à bien des égards un laboratoire dans lequel se révèle l’obsolescence de certains paramètres, considérés jusque-là comme des lignes directrices dans le monde arabe. Les lignes de fracture Maghreb/Machrek, conservateurs/avant-gardistes, islamistes/laïcs tombent ainsi en désuétude. S’en suivent des positionnements à géométrie variable, où le pragmatisme et le réalisme l’emportent. Les révoltes arabes y sont sans doute pour quelque chose, tant il est vrai qu’elles exacerbent la fragilité des États, mais aussi celles des régimes. Ces deux conflits cristallisent les contradictions inhérentes à l’aire géopolitique arabo-africaine, dans laquelle la violence demeure le moyen privilégié de la résolution des différends au sein et entre les États.

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Louisa Dris est Maître de conférences à la Faculté des sciences politiques et de l’information à l’Université Alger 3.  Chérif Dris est Maître de conférences à l’École nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information et chercheur associé à l’IREMAM d’Aix-en-Provence, France.

(Photographie: La Presse canadienne / AP / Haith Mohamad)
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