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La Russie et le bouclier antimissile européen

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La Russie et le bouclier antimissile européen

Le 4 juillet dernier la Russie accueillait le Conseil OTAN-Russie à Sotchi, la ville russe au bord de la Mer Noire et organisatrice des Jeux Olympiques de 2014. En présence des ambassadeurs des 29 pays membres de l’OTAN, de son secrétaire général Anders Fogh Rasmussen et du président russe Dmitri Medvedev, les deux ennemis d’hier ont tenté d’approfondir leur partenariat et, surtout, d’en venir à un accord sur les détails du déploiement du système antimissile que les Etats-Unis désirent installer en Europe. Cette réunion du Conseil OTAN-Russie suivait celle du 8 juin à Bruxelles, qui n’avait également pas entraîné de rapprochement entre les positions des deux partenaires. Ceux-ci font face à une impasse sur la question du système antimissile depuis le sommet OTAN-Russie tenu à Lisbonne le 20 novembre 2010.

Que la Russie décide d’intensifier le litige sur le « bouclier antimissile » ou qu’elle opte pour la tactique du salami (prolonger la négociation à un rythme extrêmement lent), ses chances de modifier la forme que prendra le système défense antimissile ou d’empêcher le déploiement de ses composantes en Europe centrale et orientale son très limitées.

Les positions des parties

Le sommet de l’OTAN à Lisbonne n’a pas réussi à finaliser les contours du système de défense antimissile. La construction de ce dernier se fera à partir des éléments du bouclier antimissile que les Etats-Unis déploieront sous-peu en Europe de l’Est. Par la suite, le système américain sera intégré avec ceux des pays membres de l’OTAN. L’approche actuelle consiste à remplacer les lanceurs de missiles en sites fixes par des intercepteurs de missiles terrestres et maritimes mobiles, appelés SM-3, et des systèmes Aegis (Weapon System/Ballistic Missile Defense (AWS/BMD)). C’est lors de la réunion du Conseil OTAN-Russie de novembre 2010 que les parties ont convenu d’entamer des pourparlers sur les « possibilités de relier les systèmes [russe et de l’OTAN] de défense antimissile » en Europe. La Russie, qui s’oppose à la construction du système antimissile américain en Europe depuis que ce projet est dans l’air, questionne les mérites de la construction d’un tel système dans sa forme actuelle. Le Kremlin est en profond désaccord avec les militaires américains quant à l’installation de systèmes militaires sur le territoire des pays qui jadis faisait partie du Pacte de Varsovie. Elle a déjà fait savoir que sa coopération au projet est conditionnelle à la forme que prendra le système et à son fonctionnement. Elle veut avoir voix au chapitre et insiste sur un accord prévoyant des dispositions juridiques contraignantes. Elle espère aussi que son opposition au projet soulèvera une critique sévère de la politique militaire américaine en Europe sous l’égide de l’OTAN.

Moscou exige que des garanties juridiques par écrit, sous forme d’un accord international, soient données à la Russie, à savoir que le bouclier antimissile ne pourra en aucun cas servir à affaiblir le potentiel nucléaire de la Fédération de Russie. Les négociations sont compliquées depuis le tout début des entretiens en raison de la proposition russe de créer un système qualifié de « défense antimissile sectorielle », selon lequel la Russie prendrait la responsabilité de la défense antimissile pour tout projectile tiré en direction de sa zone aérienne de responsabilité; l’OTAN ferait de même pour tout missile tiré en direction de l’Europe occidentale. La stratégie de la Russie dans ce dossier se heurte au soutien formel des alliés de Washington au sein de l’OTAN, ainsi qu’aux récents accords militaires entre la Pologne, la Roumanie et les Etats-Unis. Refusant de céder à la pression considérable de la Russie, la Roumanie a en effet accepté le 3 mai dernier la proposition des Etats-Unis d’accueillir un future bouclier antimissile sur une base du sud du pays, dans la région d’Olta à une centaine de kilomètres de la frontière avec la Bulgarie. Vingt-quatre missiles intercepteurs SM-3 de nouvelle génération devraient être opérationnels à l’horizon 2015 en Roumanie et autour de 2018 en Pologne. Des pourparlers avec la Bulgarie sont également en cours. Ces missiles intercepteurs sont la composante principale du système antimissile que le Pentagone désire construire en Europe de l’Est pour contrer, soutient-il, toutes attaques éventuelles venant de l’Iran qui possède déjà des de missiles balistiques de moyenne portée. Cette décision audacieuse des autorités roumaines semble avoir mis Moscou dans tous ses états. A la suite de ces annonces la Russie a déclaré que la mise en œuvre du système de protection antimissile est une menace à sa sécurité nationale et pousse Moscou à continuer le développement et la modernisation de son infrastructure militaire.

Pendant la période de son deuxième mandat (2004-2008), l’administration du Président américain George W. Bush Jr. a tenté à la va-vite d’installer les composants du système antimissile en Pologne et en République tchèque. La réplique de la Russie fut de menacer les gouvernements tchèque et polonais de déployer des missiles nucléaires « Iskanders » sur le territoire de l’Oblast (province) de Kaliningrad, adjacent à la Pologne, et de les pointer en direction de Varsovie et de Prague.

Visions stratégiques différentes

La racine du conflit entre la Russie et l’OTAN réside dans leurs approches divergentes sur la question de l’équilibre stratégique. Les Etats-Unis cherchent à établir leur supériorité dans le domaine des armes de destruction massive (ADM). A long terme, l’installation du bouclier antimissile neutralisa les menaces venant d’autres Etats possédant également des armes nucléaires. Washington désire soumettre à sa loi tous les autres Etats possédant des ADM. La Maison-Blanche a mis aux ordures la doctrine de l’équilibre de la terreur (ou destruction mutuelle assurée (DMA), MAD en anglais pour Mutual Assured Destruction) héritée de la période de la Guerre froide et qui interdisait aux superpuissances (les Etats-Unis et l’Union soviétique) d’alors de déployer des systèmes de défense antimissile. Dans le même temps, les Etats-Unis travaille à éliminer la possibilité que la dissuasion nucléaire des autres Etats diminue la capacité des Etats-Unis de mener à bien des opérations militaires dans certaines régions du globe hautement stratégiques. Le bouclier antimissile leur donnerait la capacité de neutraliser une rétorsion après avoir frappé les premiers.

Deux facteurs expliquent les protestations de la Russie contre le projet militaire américain. Pour l’élite dirigeante russe, le maintien de l’équilibre stratégique (destruction mutuelle assurée) est à la fois un gage de sécurité nationale par rapport aux autres Etats nucléaires et une source de prestige national. Moscou ne peut rivaliser avec les Etats-Unis dans la mise au point de technologies de défense antimissile balistique. En conséquence, la Russie, par un ensemble de subterfuges diplomatiques, tente de convaincre les Etats-Unis de renoncer à la construction d’un système de défense antimissile en Europe ou, s’il devait être construit, de le modifier le plus possible de façon à ce qu’il ne puisse être ne mesure de neutraliser l’arsenal nucléaire russe.

Par ailleurs, l’objectif stratégique de la politique étrangère russe est de mettre des entraves au déploiement des composants du système de défense antimissile américain dans les pays d’Europe centrale et orientale. Moscou, en effet, considère toujours la région comme faisant partie de sa « sphère d’intérêts privilégiés » en matière de défense et s’emploie à y réduire la présence militaire occidentale, en particulier celle des Etats-Unis.

Scénarios possibles

Dans les circonstances actuelles, il semble fort peu probable que la Russie et l’OTAN parviennent à un accord sur le déploiement d’un système antimissile en Europe de l’Est. Dans ces conditions, on doit s’attendre à ce que la Russie adopte des mesures à la fois politiques et militaires pour contrer les plans de Washington. Sur le plan politique, deux scénarios sont possibles dans le comportement de la Russie envers les Etats-Unis et l’OTAN en l’absence de tout accord de coopération sur le bouclier antimissile. Selon le premier, Moscou pourrait décider, après une intensification des tensions politiques, de lancer une sorte d’ultimatum aux Etats-Unis: soit un accord sur le bouclier antimissile, soit une détérioration des relations entre les deux pays, ce qui conduirait à l’échec de la politique du « reset ».

Moscou, toutefois, ferait face à des contraintes majeures si telle devait être sa stratégie. Par exemple, il serait difficile pour Moscou de lever ses sanctions contre l’Iran et se retirer du nouveau traité START ferait un tort énorme à la Russie puisque cela signifierait la perte d’une certaine parité avec les Etats-Unis sur le plan stratégique. En revanche, Moscou pourrait poser de nouvelles conditions dans son soutien logistique (des avions de ravitaillement de l’US Air Force volent au-dessus du territoire russe en direction de la base militaire Manas au Kirghizstan) aux forces américaines en Afghanistan. Selon le deuxième scénario, le Kremlin pourrait se risquer à faire perdurer les négociations et ainsi possiblement retarder l’échéance de la construction du bouclier. Pour la Russie, en pratique, cela signifie l’abandon (temporaire ?) de l’utilisation de la carte du projet de défense antimissile dans ses relations, parfois houleuses, avec l’Occident et les Etats-Unis. Peu importe l’option qu’elle choisira, la Russie peut difficilement espérer mettre fin au projet américain en Europe centrale et orientale. La balance des forces ne penchent pas en sa faveur. Le climat politique dans les relations transatlantiques a passablement changé depuis que l’administration de George W. Bush a passé les rênes du pouvoir à celle de Barack Obama. Il sera maintenant beaucoup plus difficile pour la Russie de jouer la carte anti-américaine en Europe et de susciter les discordes au sein du Vieux Continent. Par ailleurs, s’il y a une escalade des tensions entre la Russie et les Etats-Unis au sujet des pays de l’ex-Union soviétique, Moscou aura fort à faire pour convaincre les Européens et le reste du monde que Washington en est le responsable.

Une chose est sûre, que la construction du système antimissile balistique se poursuive ou pas, la Russie, elle, mettra les bouchées doubles dans la fabrication et le perfectionnement de missiles balistiques, connus sous le nom de Bulava, capables de percer les murailles du système de défense antimissile que les Etats-Unis sont en train de développer dans des buts offensifs. On peut aussi supposer que, dans le cas d’une impasse prolongée dans les négociations, la Russie déploiera des missiles de courte portée près des frontières de pays membres de l’OTAN.

Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.

The opinions expressed in this blog are personal and do not necessarily reflect the views of Global Brief or the Glendon School of Public and International Affairs.

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