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Reprise ou rechute?

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Reprise ou rechute?

Le Canada et les nouveaux réfugiés financiersLe Canada et les nouveaux réfugiés financiers

La Paix, l’ordre, le bon gouvernement. Voilà qui devrait suffire pour faire du Canada un havre pour les investisseurs en cette période économique trouble. Alors que les gros joueurs économiques sont à panser les blessures provoquées par la crise de l’automne 2008, le Canada devrait savoir profiter de cet intervalle pour devenir la nouvelle référence économique et financière mondiale.

Au moment où ces lignes seront publiées, on sera à mesurer les risques qu’une seconde récession vienne balayer les progrès effectués depuis le creux de l’automne 2008. Ceci est d’autant surprenant qu’à la fin de 2009, une forte reprise économique était prévue pour les pays du G7. Force est de constater que celle-ci se fait toujours attendre – surtout par les millions de chômeurs et d’investisseurs déçus par l’ampleur de la reprise. Les derniers mois ont plutôt laissé cours à une cascade de mauvaises nouvelles sur le marché de l’emploi dans la plupart des pays développés – auxquelles on peut ajouter une performance plus que médiocre des principales places boursières de la planète.

Malgré ce climat maussade, certains pays – souvent des petits pays développés comme la Suède, le Canada, l’Australie, et la Norvège – les SCAN – sont arrivés à se hisser tout en haut du peloton des pays les mieux positionnés pour profiter du prochain cycle de croissance. À ceux-là, il faut certes ajouter quelques pays émergents comme le Brésil, l’Inde et la Chine, peu affectés par la récente crise financière, mais dont le processus de croissance économique demeure fondamentalement différent de celui des SCAN.

En juin dernier, la réunion du G20 à Toronto a par ailleurs consacré le Canada comme modèle de stabilité économique et financière à l’échelle globale. En dépit des effets néfastes de l’effondrement des systèmes financiers américains et européens, le Canada continue toujours d’afficher les meilleurs indicateurs macroéconomiques parmi tous les pays du G20: chômage, inflation, croissance économique, ratio d’endettement public vis-à-vis le PIB, entre autres. Peu de pays peuvent se targuer d’avoir été aussi bien gérés d’un point de vue économique au cours de la dernière décennie: gouvernements fédéraux fiscalement responsables, banque centrale crédible, système financier stable, etc. Quand le Président américain louange le secteur financier d’un autre pays, on peut considérer sa situation comme étant vraiment exceptionnelle.

C’est le message qu’a lancé le gouvernement Harper dans les jours menant à la rencontre de Toronto. Avec ses ministres simultanément de passage à Londres, New York et Pékin, le gouvernement canadien publiait un rapport soulignant le leadership économique du Canada en ce qui a trait à la croissance, l’ouverture au commerce international et la performance de son secteur financier. Cette opération charme avait pour but avoué de faire connaître le Canada comme une destination idéale pour les investisseurs à la recherche de stabilité dans un contexte où les systèmes financiers des pays du G3 – les États-Unis, l’Europe et le Japon – menaçaient de s’écrouler. À tel point que certains voyaient même Toronto devenir un des plus importants centres financiers de la planète.

Malheureusement pour lui, à Wall Street et dans la City, le Canada passe souvent pour un des marchés les plus banals de la finance internationale. Nombreux sont les analystes financiers qui préfèrent rester loin du desk Canada dans ces institutions – on ne bâtit une grande carrière de trader en s’intéressant au marché canadien, dit-on. Dans ce qui reste des grandes banques d’investissement à New York et à Londres, on s’intéresse plutôt au Canada surtout comme une staple economy: une économie fortement basée sur les ressources naturelles et le pétrole. Le dollar canadien demeure quant à lui bien rangé dans le camp des devises hautement cycliques et volatiles avec le rand sud-africain, le dollar australien et le real brésilien.

Le Canada souffrirait-t-il d’un biais de réputation dans les grandes places financières mondiales? Dans les médias financiers spécialisés comme The Economist et le Financial Times, le Canada fait rarement la manchette. Dès qu’on parle du Canada dans la presse financière mondiale, une onde de fierté traverse soudainement le pays d’est en ouest, comme si les Canadiens avaient réussi quelque chose d’extraordinaire. On parle souvent plus de l’Australie – un pays qui a pourtant une bien moindre importance économique à l’échelle globale. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, dit l’adage.

Il demeure surprenant pour un pays du G7 comme le Canada – qui a un marché financier parmi les plus développés de la planète – d’être si peu présent dans les cercles financiers internationaux. Malgré la bonne performance économique du Canada vis-à-vis des pays du G3, il demeure tout autant surprenant de voir que celui-ci n’arrive pas à se dissocier des aléas économiques et financiers des plus grands marchés de la planète. Un peu comme si les hauts et les bas des marchés financiers canadiens seraient davantage une résultante des développements financiers quotidiens à Shanghai, Londres ou New York plutôt que d’être le reflet de la situation économique réelle du pays.

La panique généralisée qui a emporté les marchés financiers globaux à l’automne 2008 a confirmé une importante loi de la finance contemporaine: en temps d’incertitude, les marchés se réfugient massivement dans les actifs financiers les plus sûrs: des dollars US, des yens japonais, mais surtout des bons du trésor et américains et japonais. Ces actifs sont après tout les plus liquides sur les marchés financiers internationaux: banques centrales, investisseurs publics et privés, fonds souverains, etc. Ce type de comportement reste la preuve que malgré la nette détérioration des perspectives économiques réelles des États-Unis – on sait que cela dure depuis déjà 20 ans au Japon – les marchés continuent de croire qu’ils pourront toujours récupérer facilement les investissements faits dans les devises et les titres gouvernementaux de ces pays. En temps d’incertitude extrême, comme cela a été le cas à l’automne 2008 et peut-être même dans la deuxième moitié de 2010, le besoin de liquidité financière semble prédominer sur la traditionnelle relation rendement-risque se trouvant normalement au centre de toute décision d’investissement.

C’est ainsi que dans les semaines qui ont suivi la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, le désir de liquidité s’est manifesté dans tous les marchés financiers de la planète. En période de crise de confiance, «Cash is King», dit-on dans les trading rooms de la planète. Au point tel que, pour la première fois dans l’histoire, dans un acte d’exubérance irrationnelle qui se retrouvera dans les annales de la finance moderne, les investisseurs se sont soudainement mis à accepter un taux d’intérêt négatif en échange de Treasuries du gouvernement américain, souvent considérés comme étant les actifs les plus sûrs disponibles sur les marchés financiers à l’échelle globale. Ces derniers étaient devenus tellement craintifs et irrationnels qu’ils étaient littéralement prêts à payer le gouvernement pour avoir le droit de détenir des obligations.

Au même moment, devant l’énorme dette contractée par les gouvernements japonais et américains pour soutenir leurs économies en crise, les think tanks et médias financiers d’importance discutaient de la faillite maintenant envisageable de ces gouvernements, de la fin de l’ère du dollar comme devise de réserve globale et du début d’une longue période de déflation à la japonaise pour l’économie américaine. Pour ce qui est du Japon, on discutait alors de l’approfondissement de l’abîme dans lequel le pays se trouve toujours depuis sa propre crise immobilière du début des années 1990. À cela, la perspectives d’une dévaluation de la cote de crédit des gouvernements américains et japonais suite à leur déboires fiscaux – une éventualité inimaginable du monde d’avant crise – qui aurait pour effet de causer un cataclysme majeur dans les marchés financiers globaux, n’est venue qu’augmenter l’incertitude sur des marchés déjà particulièrement turbulents.

Les perspectives économiques et financières sont aujourd’hui telles qu’une nouvelle classe de réfugiés financiers s’est créée sur les marchés globaux. Dans un monde où les certitudes financières et économiques sont de plus en plus remises en question, les investisseurs ont plus que jamais besoin d’avoir accès à des lieux sûrs afin de mieux se protéger en période d’incertitude économique globale. Alors que les États-Unis, le Japon et l’Europe n’ont jamais été dans une position économique aussi vulnérable, la table devrait être mise pour que le Canada puisse profiter de la faiblesse relative de ses partenaires du G7 pour faire de son secteur financier un marché réellement global.

C’est ainsi que les nouveaux réfugiés financiers pourraient chercher à minimiser le risque associé à leurs investissements en plaçant leurs avoirs dans des obligations gouvernementales canadiennes qui, en regard des perspectives fiscales du Canada, pourraient même devenir le benchmark ou marché de référence global – soit les placements les moins risqués disponibles sur les places financières internationales. De tous les gouvernements des pays du G7, le Canada n’est-il pas celui qui a maintenant le moins de chances de faire défaut sur les paiements de sa dette? Une plus grande globalisation des marchés financiers canadiens aurait comme corollaire de réduire le coût de financement des entreprises et des entités publiques canadiennes. Elle augmenterait la liquidité des marchés canadiens en temps de crise, les rendant de facto plus intéressants pour les investisseurs étrangers. À ce compte, le Canada pourra-t-il devenir le prochain refuge global pour les investisseurs souhaitant se réfugier en période de crise?

C’est là un bien grand pari. Sur la scène financière internationale, le Canada peine encore à se démarquer comme économie moderne et diversifiée. Le pays demeure exposé à d’importants risques externes sur lesquels il n’a aucun contrôle: il est largement tributaire de la performance économique de son voisin du Sud; sa croissance économique est disproportionnellement dépendante du prix mondial des ressources naturelles; l’économie canadienne est relativement moins productive et novatrice que celle des autres pays du G7; le dollar canadien reste une devise instable qui réagit beaucoup plus aux aléas économiques internationaux – comme le prix du pétrole – qu’aux indicateurs propres à la performance réelle de son économie. Par ailleurs, le coût de financement exigé par les marchés financiers du gouvernement du Canada demeure supérieur de quelques points centésimaux à celui du gouvernement américain.

À ce compte, les États-Unis demeurent toujours les principaux clients à l’exportation du Canada – leurs importations en provenance du Canada comptent toujours pour environ le quart du PIB du Canada et ce, malgré tous les efforts de diversification économique déployés par les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada au cours des 50 dernières années. Une telle dépendance vis-à-vis de l’économie américaine, surtout basée sur l’exportation de biens dont le prix est hautement relié au cycle économique, tels que les matières premières et le pétrole – ne soutient certainement pas l’idée que le Canada est une économie suffisamment diversifiée.

Par ailleurs, malgré les discours officiels faisant état de la performance des leaders économiques comme Bombardier et Research in Motion, les principaux produits d’exportation du Canada demeurent toujours le pétrole, le bois d’œuvre, l’or et d’autres métaux précieux. C’est ainsi qu’au cours du dernier cycle économique, l’appétit grandissant de la Chine pour les matières premières et des États-Unis pour le pétrole albertain n’a fait que confirmer le rôle du Canada comme l’un des plus importants fournisseurs de produits de base à l’échelle globale. Le pays n’a par contre pas su profiter de ce cycle économique pour diversifier son économie. Il s’est plutôt retranché dans sa ‘zone de confort’ traditionnelle en se contentant d’exporter majoritairement des produits à faible valeur ajoutée.

De leur côté, les entreprises du secteur manufacturier se sont plaintes à maintes reprises de l’asphyxie causée par la vigueur récente du dollar canadien, principalement venue de la forte demande des ressources naturelles à l’échelle globale – alors que celles-ci ont systématiquement profité de la faiblesse du dollar canadien des années 1990, ce qui a eu comme conséquence que la compétitivité internationale du secteur manufacturier s’est considérablement réduite. Les entreprises canadiennes réalisent aujourd’hui qu’elles doivent absolument investir pour hausser leur niveau de productivité dans un monde où le marché américain sera de moins en moins dominant.

Finalement, le dollar canadien réagit toujours fortement à la baisse en période d’incertitude, comme s’il ne s’était pas encore tout à fait décolonisé des nouvelles financières venant de Londres ou New York. La persistance de ces fortes variations du dollar continue d’effrayer les investisseurs qui auraient pu considérer le Canada comme un refuge financier potentiel en périodes d’incertitude internationale. Ils sont d’avis que la volatilité actuelle aura à terme un impact substantiel sur l’économie canadienne – notamment en gardant le prix des ressources naturelles à des niveaux déprimés. Ce faisant, ils parient également que le Canada échouera encore dans sa tentative de se transformer en autre chose qu’un fournisseur de matières premières et de se positionner comme un joueur économique et financier global.

À moins que le pays manifeste une intention sérieuse de diversifier sa base économique. À ce titre, le Canada pourrait profiter de cette occasion pour lancer de nouvelles grappes industrielles – par le financement de la recherche et développement dans les universités, par exemple – afin d’orienter l’économie du pays dans des secteurs moins liés aux cycles des ressources naturelles. Le Canada pourrait par ailleurs profiter de cette période trouble pour améliorer l’efficacité de ses programmes sociaux, dans la mesure où ceux-ci auront un impact sur la productivité de l’économie canadienne à plus long terme. À ce compte, les programmes visant le retour des femmes sur le marché du travail – comme les subventions accordées à la garde des enfants en bas âge et les programmes de formation de la main-d’œuvre – pourraient être bonifiés afin de générer davantage de gains de productivité pour l’économie canadienne à plus long terme.

Dans une période où les coffres du gouvernement ont été vidés par la récession, celui-ci devrait emprunter davantage sur les marchés financiers pour réaliser ses ambitions de devenir un joueur économique et financier réellement global. Surtout qu’il n’en coûte actuellement moins de trois pour cent par an pour financer les emprunts à long terme (10 ans) du gouvernement canadien. Rarement y a-t-il eu meilleur temps pour financer des initiatives à long terme visant à diversifier la base économique du pays. Une telle stratégie permettrait non seulement d’accélérer la transition économique du pays vers des filières économiques plus stables et plus productives à long terme, mais elle permettrait également d’augmenter la liquidité du marché des obligations gouvernementales – qui reste relativement peu liquide en comparaison à l’immense marché des Treasuries américains et Bunds allemands. Ainsi, l’augmentation de la taille du stock de la dette canadienne transigée sur les marchés local et global aurait pour effet de globaliser davantage les marchés financiers canadiens en les rendant plus accessibles aux réfugiés financiers.

Alors que les investisseurs de la planète sont à diversifier leurs avoirs à l’extérieur des États-Unis et dans des devises autres que le dollar américain, le Canada a devant lui une chance unique pour prendre sa place sur la courte liste des nouveaux refuges financiers globaux. Pour y arriver, le pays devra toutefois faire preuve d’audace s’il souhaite faire sa marque comme success story économique financier à l’échelle globale.

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François Boutin-Dufresne est économiste en finance et affaires internationales basé à Washington DC.

(Illustration: Leo Espinosa)
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