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La faillite Merah

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La faillite Merah

L’élimination de l’auteur des tueries de Montauban et Toulouse, qui a terrorisé la France pendant plusieurs jours et monopolisé l’attention des médias, soulève de multiples interrogations. Les conditions de l’assaut mené par le RAID méritent bien sûr quelques explications, que réclament d’ailleurs légitimement des responsables et experts de tous bords. Mais en amont des jours qui suivirent les assassinats, c’est la faillite du renseignement français qui mérite d’être pointée du doigt. Cette faillite doit être dépolitisée, sortie du contexte d’une campagne présidentielle polluée par des déclarations trop souvent indignes et précipitées des différents candidats, analysée la tête froide, et utilisée dans le but de combler les lacunes. C’est là un moyen de trouver des réponses contre un terrorisme radical (islamiste ou autre) qui reste un risque constant pour nos sociétés et c’est, passée l’émotion, le meilleur hommage à rendre aux victimes.

Le terrorisme contemporain est de manière inquiétante très fréquemment le fait de ces « loups solitaires », qui agissent seuls et sans aucun réseau et, sans faire d’autopromotion déplacée, dont je décris en détail le profil et les modes d’action dans mon livre L’après Ben-Laden. Un terrorisme qui, de fait, survit à la mort du fondateur d’Al-Qaïda. Mais si Merah était un solitaire, il serait excessif, et même erroné, de le ranger dans la catégorie des « loups solitaires ». Ces derniers présentent en effet la particularité de s’auto-endoctriner (ce qu’on peut, en partie, relever chez Merah, comme chez tous ceux qui passent à l’acte) mais surtout de ne pas avoir eu le moindre contact avec des groupes radicaux, et dans ces conditions d’être absolument indécelables avant qu’ils ne passent à l’acte. Un loup solitaire est ainsi un quidam qui sort de l’ombre pour devenir, consécutivement à son méfait, un terroriste. Un type sans histoire et que rien ne semblait prédisposer à un tel destin macabre, qui se mue en un ennemi public numéro un. Un citoyen ordinaire dont la surveillance pourrait être assimilée à une violation des libertés individuelles… Rien à voir avec l’homme qui assassina de sang froid sept personnes, dont trois enfants. Merah s’est rendu au Pakistan et en Afghanistan, il y fut même interpellé et rapatrié, et l’idée que ces déplacements était justifiée par du tourisme tient de la mauvaise plaisanterie, quand on sait qu’il s’est rendu au Waziristân, qui n’est pas exactement le lieu rêvé pour du tourisme – sans même faire mention de l’Afghanistan, pour lequel l’évocation de tourisme relève au mieux du mauvais goût, et doit forcément éveiller les soupçons. Merah était par ailleurs « blacklisté » aux Etats-Unis, et interdit d’embarquer sur un vol en direction du territoire américain. Certains argueront du fait que ces listes noires sont parfois excessives, mais il y a tout de même bien une raison justifiant que les services de renseignement américains se méfiaient de Merah. Le tueur était également suivi par la DCRI, et a même été auditionné (pour son « tourisme » au Pakistan), et donc connu des services de renseignement français. Il a été condamné par le passé, a fait de la prison, et était listé comme un délinquant. Enfin, et c’est là le plus troublant, il aurait été pisté dès la tuerie de Montauban, ce qui indique bien qu’il ne sortait pas de nulle part. En clair, Merah n’était pas un loup solitaire, mais un individu dont les activités passées justifiaient une attention marquée, sans que cela ne soit en aucun cas une entrave à l’état de droit.

Une fois le printemps électoral passé, et quel que soit le résultat du double scrutin présidentiel et législatif, il sera nécessaire de mettre sur pied une commission d’enquête indépendante pour faire toute la lumière sur ce qu’il s’est réellement passé, mais aussi et surtout sur les informations dont disposait la DCRI sur Mohamed Merah (étaient-elles incomplètes, mal classées, mal interprétées…). Une commission semblable à celle qui se pencha sur les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, et dont le résultat fut de mettre en relief les failles dans les services de renseignement. Il y a semble-t-il un problème résidant dans l’obsession portée sur des organisations terroristes structurées (de type Al-Qaïda) et dans le même temps une forme de fatalisme à l’égard des loups solitaires, qu’aucun service de renseignement ne peut être en mesure d’identifier avec certitude. Merah se situait entre ces deux types de terroristes, et la faillite réside dans le fait que son profil et son passif auraient dû retenir l’attention de services de renseignement qui, si le travail consiste uniquement à décortiquer le profil de terroristes une fois qu’ils sont passés à l’acte, ne servent alors pas à grand-chose. La France a une tradition en matière de lutte contre le terrorisme, à la fois en matière de forces de police et de justice, et la DCRI fait un travail remarquable, et pas assez souvent mentionné, dans l’identification et l’élimination de cellules prêtes à passer à l’acte. Mais cela ne doit pas exclure un examen, approfondi des failles, pour en améliorer les résultats.

Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.

The opinions expressed in this blog are personal and do not necessarily reflect the views of Global Brief or the Glendon School of Public and International Affairs.

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